21 rue de la Boétie – Picasso, matisse, Léger… La collection rosenberg

Marie Laurencin (1883-1956), “Anne Sinclair à l’âge de quatre ans”, 1952, huile sur toile, 27 x 22 cm, collection particulière
© Fondation Foujita / ADAGP, Paris 2017

ENTRETIEN AVEC ANNE SINCLAIR

L’exposition « 21 rue La Boétie » se tient au Musée Maillol jusqu’au 23 juillet 2017
www.museemaillol.com

Avec l’exposition « 21 rue la Boétie », le musée Maillol revient sur le parcours de Paul Rosenberg, votre grand-père. En quoi son parcours est-il exceptionnel et emblématique ?

Cette exposition à Maillol mêle l’art et l’histoire. La vie de mon grand-père s’y prête. Sur le plan artistique, c’est d’abord l’itinéraire d’un grand marchand comme on n’en fait plus, non seulement un galeriste au flair exceptionnel, mais l’ami des peintres qu’il exposait et dont il était une sorte d’impresario, passionnément épris de « ses » peintres et de leur œuvre. Qu’était cet art moderne, incarné par Picasso, Braque, Matisse, Léger, Marie Laurencin, Nicolas de Staël entre autres, à un moment où l’on n’avait pas, pour l’art contemporain, la dévotion quelquefois béate qu’on a aujourd’hui ?
Sur le plan historique, c’est la collision entre l’histoire d’une famille juive parisienne et la grande Histoire et le chaos de la Seconde Guerre Mondiale. D’abord, une part importante est faite à la conception qu’avaient les nazis de l’art qu’ils qualifiaient de « dégénéré » et qui tranchait avec l’art académique et germanique prisé par les nazis. Puis c’est l’histoire du pillage des œuvres d’art dans les territoires contrôlés par le Reich, dont celui des œuvres appartenant à Paul Rosenberg en France occupée. C’est ensuite le destin qu’eut sa galerie, temple de la beauté avant guerre et officine de l’horreur dépendant directement de la Gestapo entre 1940 et 1944 puisqu’elle est devenue le Centre d’Études des Questions Juives, un organisme de propagande et de délation antisémite le plus déchaîné. Et Paul a été déchu de sa nationalité par le gouvernement de Vichy, qui punissait ainsi les Juifs de s’être enfuis pour éviter les déportations. C’est donc bien un homme extraordinaire, minuscule héros d’une histoire qui bouleversa le XXe siècle.

On y découvre non seulement un esthète, mais aussi un ami intime des artistes, un militant de l’art moderne. Que vous évoque aujourd’hui la mémoire de votre grand-père ?

Il a permis aux artistes de sortir de leur chapelle cubiste. C’est ce qui a plu notamment à Picasso dont il a su accompagner les évolutions nombreuses et géniales, et les réintroduire dans la grande famille de l’Art. Il a eu aussi le sentiment très tôt, dès 1920, que l’école de Paris traverserait l’Atlantique et que l’Amérique deviendrait le marché de demain. Enfin, il était tellement fou de ses peintres qu’il enrageait de n’être qu’un passeur et non un artiste lui-même ! Ce qui donne certaines de ses plus belles lettres à Picasso ou Matisse. Il était donc un visionnaire, doublé d’un homme de culture, qui avait le plus grand respect pour les créateurs, au moins autant qu’un marchand qui exerçait très bien son métier.

Nombre de ses oeuvres seront volées et pilées par les nazis. Dès après la guerre, il part à la leur recherche. Plusieurs ont depuis été retrouvées et restituées. Que ressent-on à la restitution d’une oeuvre ?

On a un sentiment très étrange de regret : si seulement elles pouvaient raconter ce qu’elles ont vu ! Le portrait de ma grand-mère et de ma mère, aujourd’hui au Musée Picasso, s’est retrouvé dans le bureau de Goering… Une plaque de marbre, devenue table basse était encastrée dans le sol de chez mes grands-parents. Elle avait été conçue par Braque et ses marbriers pour reproduire une des œuvres de l’artiste. Elle a été foulée par les pieds des collaborateurs parmi les plus odieux et des suppliciés qui ne sont plus. Je n’ai jamais pu la regarder sans chagrin. C’est donc un mélange de respect pour les œuvres d’art retrouvées par la persévérance de mon grand-père et une interminable et triste rêverie devant ce dont elles ont été les témoins.

Propos recueillis par Sarah Rozenblum