25-31 janvier: l’attente en boucle

Cette semaine encore, le regard de Sarah Ohayon saisit l’incompréhensible Tel Aviv: l’attente de ce jeudi 30 janvier, la libération de trois otages israéliens et de cinq thaïlandais, le soulagement place des Otages, l’attente qui reprend presque aussitôt, un homme dont les chaussettes sont aussi rouges que son pull, la rue qui dîne, boit, fume, fête.

© Sarah Ohayon/Tenoua

Voir le journal photo de la semaine dernière: 18-24 janvier : journal photo de l’attente

Sur le même sujet, lire le carnet de Mira, « Les semaines redoutables »:
Dimanche 19 janvier, 6h30 du matin, on attend
Vendredi 24 janvier: le temps arrêté
Vendredi 31 janvier: les arbres et l’attente

חמישי (hamishi), c’est le 5e jour de la semaine, le jeudi soit le début du weekend ici. Un hamishi montagnes russes qui a démarré par l’annonce du transfert de l’otage Agam Berger (20 ans) dès 8h30 du matin. Va-t-elle sortir “sur ses jambes” comme on a pu le lire pour ses camarades soldates libérées la semaine dernière? Va-t-on encore assister à ces mises en scènes vicieuses qui donnent mal au ventre et à l’âme?

On connaît la chanson désormais: l’angoisse de l’attente, le soulagement d’apercevoir les otages vivants, la colère à la vue de cette foule enragée qui les enserre, la gorge nouée et le souffle coupé de peur qu’il se passe quelque chose d’inattendu, la joie qu’ils retrouvent leur famille, l’angoisse de l’attente que les suivants sortent. En boucle.

Dès 9 heures, des centaines de Telavivis affluent place des Otages pour assister aux libérations dont celles d’Arbel Yehud (29 ans) et Gadi Moses (80 ans) et cinq citoyens thaïlandais Sathin Suwannakhan (34 ans), Pongsak Thaenna (35 ans), Bannawat Saethao (27 ans), Sriaoun Watchara (32 ans) et Surasak Lamnao (30 ans) plus tard dans la journée. Sur les pancartes à l’effigie des otages, certains ont  collé des stickers en coeur “Hazarti” – “Je suis rentrée”. Des jeunes filles ont noué leurs cheveux avec un cordon jaune.

© Sarah Ohayon/Tenoua
© Sarah Ohayon/Tenoua

Moi, je suis au café, je me prépare pour un entretien d’embauche avec l’impression d’être dans une réalité alternative. Cette semaine, les temporalités se mélangent. Les frontières entre les histoires et le réel aussi.

© Sarah Ohayon/Tenoua

Des dizaines de vidéos défilent sous mes yeux. S’entre-croisent des commémorations des 80 ans de la libération d’Auschwitz, des enlèvements du 7/10, des hommages à des soldats de 20 ans qui meurent à la guerre (Liam Hazi זייל). C’était vraiment aujourd’hui ça? Des témoignages de survivants de la Shoah, de survivants de Nova, d’anciens otages et d’autres qui n’ont pas survécu au 7 octobre mais qui avaient survécu aux camps de la mort.

Vous n’avez pas compris cette phrase et moi non plus, je ne comprends rien.

Ce qui trouve un sens pour moi, ce qui me ramène à un semblant de normalité, ce sont les coïncidences du quotidien. Cet homme à la chemise rouge assortie à ses chaussettes, assis dans l’herbe, sur fond de travaux. Ces amants qui s’embrassent, voire se dévorent sur la plage sous 26 degrés en plein mois de janvier. L’alignement des planètes, superposition accidentelle de la bouche d’une geisha sur celle d’une Israélienne qui lit à une terrasse de café.

© Sarah Ohayon/Tenoua

Hamishi se poursuit. Entre deux rendez-vous, les images d’Arbel, le visage déformé par la peur, qui se fraye un chemin hors de l’enfer, celles de la mère d’Agam qui dit à sa fille: “nous sommes là, nous ne t’abandonnerons jamais. Pour toujours. C’est une promesse de maman. La promesse de maman”.

Sur un groupe whatsapp de copines dont la moitié est en Thaïlande (en bonnes Telavivies), je reçois le lien pour aller à un festival dans le désert, et à une retraite de yoga, à une fête de Purim et nouvelle excitante : l’ouverture prochaine d’une boutique Oysho (style Zara pour les tenues de sport).
Les vols Air France ont repris depuis le 25 janvier, ce qui veut dire que nos familles vont pouvoir venir nous voir plus facilement (à bon entendeur).
ll y a un nouvel endroit qui s’appelle Café Cecil où on mange des huîtres, il paraît que c’est bien.

Hamishi se termine naturellement sur Nachalat Binyamin, LA rue bondée de jeunes qui dînent, boivent un verre, fument (autre chose que des cigarettes). Trois otages de plus sont rentrés à la maison et c’est ça qui compte, apprécier le moment présent.

Et puis, de toutes les manières, c’est Hamishi.

© Sarah Ohayon/Tenoua