À bonne école

L’édito de la rédaction

Que nous l’ayons aimée ou haïe, l’école nous a marqués. Lieu de libération ou d’aliénation, lieu des premières amours et des premières déceptions, de l’altérité et de la construction de l’identité, lieu de l’autorité et de son contournement, l’école occupe une place majeure, envahissante parfois, dans la vie de presque tous les enfants.

On est loin aujourd’hui du tablier noir et du coup de règle sur les doigts, en France du moins, mais on y est loin, aussi, de certaines pédagogies plus ouvertes, plus adaptables, plus centrées sur le développement d’être pensants et responsables que sur l’accumulation de connaissances parfois indigestes sanctionnées finalement par l’obtention du si précieux et si futile bac.

À l’école française se joue aujourd’hui une lutte qui dépasse de loin les règles de trois, les compléments d’objets directs ou la méiose et la mitose, celle de la laïcité. Héritière des instituteurs hussards noirs de la République, ce « régiment inépuisable », disait Charles Péguy, l’institution poursuit le combat de ses pères pour la séparation de l’Église et de l’État entamé sous la iiie République.

La défense de la laïcité est même devenue depuis quelques années pour l’école une mission dont on entend tant parler qu’on se demande parfois s’il en reste encore d’autres.

L’école, pourtant, pose bien d’autres questions, porte bien d’autres enjeux. Avec des résultats parfois décevants par rapport à d’autres pays, l’école française peine souvent à rattraper ceux qui la rejettent, à nourrir la créativité de ses élèves ou à leur permettre de s’épanouir pleinement.

La question de l’instruction des enfants traverse toute société, et la tradition juive ne fait pas exception. Al pi darko, nous dit-elle, « chacun selon son chemin », dans une modernité toujours aussi surprenante venant de cette antique sagesse. Les Sages du Talmud accordent à l’enseignement une place si singulière que l’école surpasse même le Temple en termes d’importance.

Apprentissage progressif en fonction de l’âge, adapté à chacun, humilité du maître, étude tout au long de la vie, transmission de l’amour d’apprendre, ce n’est sans doute pas un hasard si le yiddish désigne par un même mot école et synagogue. Ni si le pédagogue israélien Reuven Feuerstein trouva la ressource pour mettre en œuvre sa conviction : tout le monde peut apprendre, même des enfants rescapés de la Shoah, traumatisés et brisés.

L’école, ce sont aussi des souvenirs, et donc des récits. Ce prof de grec qui a tant marqué Ivan Jablonka, cette première rentrée dans une classe de 72 élèves à Istanbul pour Rosie Pinhas-Delpuech, ou l’indigeste accablement dont se souviennent la photographe Céline Nieszawer ou l’écrivain Laurent Sagalovitsch, vous rappelleront forcément quelque chose. Tout comme l’aversion scolaire de Christian Boltanski racontée par son neveu Christophe.

L’école est aussi à l’image de la société qu’elle sert : elle évolue et la révolution numérique n’est pas le moindre de ces bouleversements, comme dans les écoles juives de l’Alliance, par l’immersion dans la langue hébraïque à l’EJM ou lorsqu’une école de design ouvre des chemins insoupçonnés à la créativité de ses étudiants.

Et si nous interrogeons le devenir de nos écoles, c’est avec toujours un œil sur leur passé, avec la glorieuse histoire des établissements de l’AIU qui parsemaient le monde juif de Tanger à Téhéran, ou l’épopée joyeuse de l’école juive Montessori de Mme Gordin à Paris.

Toute l’équipe de Tenou’a vous souhaite une belle rentrée et une excellente année 5782. Pour l’heure, rangez vos cahiers, mettez-vous en rang, la cloche va sonner, ce sera la récré, sauf, bien sûr, pour ceux qui doivent rester en heure de colle.

Antoine Strobel-Dahan, rédacteur en chef