Arlette Farhi – Et il y avait les judéo-espagnols

ARLETTE FARHI est arrêtée chez elle, avec ses parents Léon Yuda et Reyna en pleine nuit. Ils sont d’abord internés au camp de Mérignac en Gironde puis transférés à Drancy. De nationalité turque, le père écrit au consulat de Turquie à Paris. Le consulat turc tente, à plusieurs reprises d’obtenir leur libération, ainsi que celle d’autres citoyens turcs auprès de la préfecture de Gironde et des autorités allemandes. Ils sont déportés le 20 janvier 1944, en même temps que 240 autres Judéo-Espagnols, dont de nombreuses personnes de nationalité turque pour lesquelles le consulat était intervenu.

© Mémorial de la Shoah/Coll. Serge Klarsfeld

ARLETTE FARHI, 11 ANS
Née à Paris le 17 septembre 1932.

Arrêtée à Bordeaux le 22 décembre 1943.
Déportée de Drancy à Auschwitz le 20 janvier 1944 par le convoi n° 66.
Probablement assassinée dès son arrivée à Birkenau.

CONVOI N° 66
PARTI DE DRANCY LE 20 JANVIER 1944, ARRIVÉ À AUSCHWITZ LE 23 JANVIER 1944
1 153 DÉPORTÉS DONT 204 ENFANTS
97 RESCAPÉS
Ce premier convoi de 1944 (les convois 63 et 64 ont été inversés et la liste du convoi 65 est un double de celle du convoi 63) est le premier à compter une majorité de Juifs français. Depuis l’accession de Darnand au Secrétariat général au Maintien de l’Ordre au début du mois de janvier 1944, la police française fournit les listes des Juifs français aux Allemands et participe à l’arrestation de ces derniers.
À l’arrivée, 236 hommes et 55 femmes sont sélectionnés pour le travail. Les hommes sont tous affectés à Monowitz, les femmes dans différents Kommandos de Birkenau. Alors que, contrairement aux hommes, peu de femmes ont été admises dans le camp, elles sont, en proportion, plus nombreuses à avoir survécu (60 %). Cette tendance se confirme dans tous les convois suivants puisque, sauf dans le convoi 82, il y a plus de rescapées que de décédées parmi les femmes enregistrées dans chaque convoi. Cela s’explique probablement parce que beaucoup furent transférées vers d’autres camps en tant que main-d’oeuvre nécessaire à l’effort de guerre allemand, entre octobre et novembre 1944. Les conditions de vie et de travail y étaient moins dures qu’à Birkenau et les sélections n’existaient pas. Les chances de survie y étaient très vraisemblablement supérieures qu’à Birkenau.
Outre Arlette Farhi et sa famille, le convoi 66 transporte le champion de natation Alfred Nakkache (28 ans) et Albert et Hélène Samuel, les parents de Raymond Aubrac.

Sources : S. Klarsfeld, Mémorial de la Déportation des Juifs de France
et A. Doulut, S. Klarsfeld, S. Labeau, Mémorial des 3 943 rescapés juifs de France

Quand Arlette Farhi, 11 ans, et ses parents sont arrêtés à Bordeaux puis déportés à Auschwitz le 20 janvier 1944, ils font partie des 244 Judéo-Espagnols du convoi 66. Pourtant, les Farhi ont un passeport turc, une nationalité qui a plutôt épargné les Juifs jusque-là. Malgré une demande d’intervention immédiate auprès du consulat turc de Paris qui prend les choses en main, les Farhi font partie des 775 Juifs turcs déportés entre janvier et juillet 1944, sur un total de 1 855 Judéo-Espagnols déportés, auxquels il faudrait ajouter les enfants français nés de parents turcs.

Cette page mémorielle pour la famille Farhi fait partie de l’extraordinaire Mémorial des Judéo-Espagnols déportés de France*, un monument de 720 pages qui vient d’être publié par l’association Muestros Dezaparesidos et dirigé par Alain de Tolédo. Car il s’agit bien d’un mémorial, à la fois monument du souvenir (listes des déportés par convoi, index alphabétique, vignettes biographiques et documents visuels), une référence historique (grâce aux excellentes contributions d’Henriette Asséo, Sylvie Altar, Xavier Rothéa et Cory Guttstadt, entre autres) et un outil pédagogique pour transmettre l’histoire méconnue des Judéo-Espagnols déportés de France, dont « un grand nombre d’entre eux ont été arrêtés dans les derniers mois de l’Occupation. »

Ce livre a de nombreux mérites, outre celui de faire ressortir de l’ombre le destin des Juifs judéo-espagnols : il met en lumière la diversité sociale de cette communauté. Le terme « judéoespagnol » inclut des hommes, des femmes et des enfants nés dans différentes régions de l’ex-Empire Ottoman, de la Turquie (Raphaël Obadia et Jacob Alazraki) à la Grèce (Doudou Haïm), de la Bulgarie (Dona Boni) à l’ex-Yougoslavie (Albert Navarro), de la Roumanie (Rachel Renée Heskia) à l’Égypte (Isaac Engros) et à la Tunisie (Rosa M’Sallam). Ils étaient de rite sépharade, romaniote, marocain. Ils ont émigré vers la France ou ils y sont nés. Dans toute la France : Paris (les Nahmias et les Saltiel), Nîmes (famille Benattar), le sudouest (famille Angel), Lyon (Ricoula Beja), Marseille (famille Arrovas), les Basses-Pyrénées (famille Cheres). Ils travaillaient dans la bonneterie (Maurice Taragano), la soierie à Lyon (Isaac Nahon), la production cinématographique (Edgard Pelosof), ou comme ouvriers (Fanny Amiel), ils étaient étudiants à l’université (Jacques Alfandari qui lisait de la littérature française au camp d’internement) ou élevaient leurs enfants. Nombre d’entre eux ont été des piliers de la communauté sépharade locale – le rabbin Youda Moël et Nissim Meyohass à Lyon, Elie Danon à Paris – mais aussi d’associations culturelles comme Robert Bahsi et l’Amicale des Israélites de Bulgarie, Elie Eskenazi et la colonie turque de Nice, et Isaac Cicurel qui dirigeait le café-restaurant Le Bosphore, une institution du XIe arrondissement de Paris qui était le passage obligé des nouveaux venus levantins. Certains ont envoyé des lettres, comme Raphaël Caraco qui « attend maintenant la Croix-Rouge qui nous soignera sainement et qui va nous évacuer en France », mais qui meurt hélas avant son rapatriement.

Il y avait des résistants, comme Fortunée Bidjerano dite « La renarde » et Lucien Cohen dit « Colin » enrôlé dans les FTP (Francs-Tireurs et Partisans, d’obédience communiste), des engagés volontaires comme Masliah Lévy, et des soldats qui avaient servi la France pendant la Première Guerre mondiale, comme Maurice Bensignor, décoré de la médaille militaire et de la Croix de Guerre.

Et il y avait des enfants, beaucoup d’enfants, comme Albert Eskenazi, victime de l’une des dernières actions d’Aloïs Brunner et arrêté dans l’un des centres d’enfants de l’UGIF après la déportation de ses parents ; Rose et Odette Aboulafia, 12 et 8 ans, et Léa et Rachel Souhami. Il y a ceux qui ont été déportés malgré leur nationalité espagnole (famille Naar), argentine (Henri et Raquel Jerusalmy) ou turque (Isaac Saül et Vitali Salmona), et ceux que le pédigrée familial n’a pas protégé, comme Béatrice de Camondo, fille du célèbre collectionneur et philanthrope Moïse de Camondo, son ex-mari Léon Reinach et leurs enfants. Pour certains, il y a une histoire, une photo, une lettre, un souvenir. Pour d’autres, il ne reste que le nom et quelques détails d’identité dans une longue liste de déportés.

Il y a aussi eu quelques rescapés, comme Estelle Attas qui a survécu aux marches de la mort depuis le camp d’Auschwitz, et Victor Perahia, né en 1933 et revenu de Bergen-Belsen. Ils ont témoigné, tout comme les membres des familles de tous ceux qui sont mentionnés dans ce livre et qui honorent la mémoire individuelle et collective des déportés judéo-espagnols de France.

Ces victimes aux noms qui chantent la Méditerranée étaient les héritiers du riche patrimoine culturel judéo-espagnol qui a été, lui aussi, décimé avec la Shoah.

* On peut commander le livre au prix de 29 euros + 7 euros de frais d’envoi auprès de l’Association Muestros Dezaparesidos,
www.muestros-dezaparesidos.org

  • Gilles Rapaport

“YOUNG” PEREZ, le Juif qui s’est battu à en mourir

VICTOR PEREZ commence la boxe chez lui, en Tunisie. Lors de son premier combat officiel, il porte un short noir orné, à sa demande, d’une étoile de David. Il part tenter sa chance à Paris à la fin des années vingt. Entraîné par Léon Bellières, il devient champion du monde en battant le tenant du titre mouches, l’Américain Frankie Genaro, par KO après seulement cinq minutes de combat le 26 octobre 1931. La suite de sa carrière est plus aléatoire. Il est arrêté à Paris sur dénonciation à l’automne 1943. Déporté à Auschwitz-Birkenau, Young Perez est affecté au souscamp de Monowitz-Buna ou Auschwitz III. Le commandant de ce camp, Heinrich Schwartz, organise des paris et fait combattre Perez et d’autres déportés boxeurs entre eux et même, dans le cas de Perez, probablement face à un militaire. L’un des 31 rescapés du convoi 60 en janvier 1945, il est assassiné au cours d’une marche de la mort après l’évacuation d’Auschwitz.

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