Cinéaste et nazie, c’est ce qu’on retiendra

Dans un film documentaire nourri d’archives inédites, le réalisateur allemand Andres Veiel retrace l’œuvre de la cinéaste Leni Riefenstahl. Sympathisante du régime nazi, cette cinéaste est aussi considérée comme l’une des plus prodigieuses artistes de son époque. Leni Riefenstahl. La lumière et les ombres, un film actuellement en salles.

© ARP Sélection

Peut-on séparer l’homme de l’artiste? Depuis plusieurs années, cette question soulève de nombreuses tensions entre celles et ceux qui souhaitent continuer de consacrer des œuvres, quels qu’en soient les auteurs, à celles et ceux qui considèrent que des artistes aux personnalités controversées ne méritent plus d’être adulés pour leur travail. Ces dernières années, cette tension s’est retrouvée au cœur de plusieurs affaires et l’on se demande: que faire de films de Roman Polanski ou dans lesquels figure Gérard Depardieu? Pouvons-nous écouter la musique de Michael Jackson? Ou encore, devons-nous continuer à lire Louis-Ferdinand Céline? 

Le réalisateur Andres Veiel qui consacre son nouveau film à Leni Riefenstahl, réalisatrice, photographe et actrice allemande, nous pose cette même question: peut-on séparer la femme de l’artiste? Peut-on séparer la propagandiste nazie de la cinéaste? 

Au cœur de la polémique, deux de ses films “Le triomphe de la volonté” et “Les dieux du stade” réalisés en 1935 et 1938. Ceux-ci avaient été commandés par Hitler en personne, afin de montrer la pureté des corps et des esprits aryens. Tandis que son premier film s’intéressait au Congrès de Nuremberg du Parti nazi, le second portait sur les Jeux Olympiques de Berlin de 1936. 

© ARP Sélection

Regrette-t-elle d’avoir réalisé des films de propagande nazi? Silence. Gêne. Réponse de l’intéressée alors qu’elle est interrogée par un journaliste télé dans les années 80: comment pouvait-elle savoir? Elle qui ne s’est jamais intéressée à la politique? Rien ne laisse penser qu’elle ignorait la monstruosité du régime nazi. Pourtant, elle fait tout pour nous le faire croire: “90% des gens soutenaient Hitler, pourquoi pas moi?”.  Jusqu’à la fin de sa vie, la cinéaste et photographe continuera de clamer son ignorance quant au sort réservé aux Juifs: “Je n’ai vu aucun de mes amis juifs disparaître. Ils ont tous quitté le pays avant 1938!”, raconte-t-elle, comme si cela suffisait à nous convaincre. 

Leni Riefenstahl a engagé plus d’une cinquantaine d’actions en justice pour diffamation et a été déclarée officiellement “simple symathisante du régime nazi par la justice”. Peu importe les accusations la visant, la cinéaste n’a jamais exprimé de regret concernant ses films et sa collaboration avec le régime. Proche d’Hitler et de Goebbels – les photos d’archive en témoignent – avec lesquels elle collabore de 1932 à 1939, Leni Riefenstahl ne cessera de considérer son travail comme nécessaire, un travail qui “montre le monde réel”.

© ARP Sélection

Enfin, nous découvrons la fin de sa vie professionnelle et personnelle. Ses voyages au Soudan afin de filmer la tribu des Noubas, des expéditions sponsorisées par des entreprises allemandes qui serviront, enfin, à l’humaniser. Ou encore son histoire d’amour avec son assistant, de quarante ans son cadet, témoignant de sa modernité… Ou plutôt de son caractère autoritaire.

C’est la voix de Leni Riefenstahl, rien que sa voix, que nous entendons dans ce documentaire de presque deux heures. Et, à travers elle, sa version de l’histoire, ses excuses et ses justifications.  Au bout d’une dizaine de minutes, une voix off prend le relais de la narration. On espère qu’elle restera pour nous guider dans cette histoire, qu’elle nous permettra de distinguer le vrai du faux, les actes de la manipulation. Nous attendons les contextualisations des historiens et des journalistes pour nous aider à comprendre. En vain. 

Cette voix off disparaît aussi vite qu’elle est apparue et nous laisse seuls avec la cinéaste décédée en 2003. Elle reviendra dans le récit trois ou quatre fois seulement et de manière assez abrupte. Comme si, elle aussi, voulait se détacher le plus possible de son personnage principal.   

Évidemment, le film, grâce à des archives inédites auxquelles le réalisateur a eu accès – plus de 700 cassettes et documents personnels légués à la Fondation du patrimoine culturel prussien à la mort de son conjoint, Horst Kettner – nous fait aussi entendre les conversations téléphoniques qu’elle a soigneusement enregistrées, les nombreux appels d’admirateurs, les discussions avec ses amis notables de l’époque aussi, qui comme elle, tentent de se dédouaner de leur responsabilité. Rien ne nous échappe. 

Sortie de la salle nauséeuse, voire en colère, je m’interroge. Que devons-nous faire de ces personnalités à l’œuvre incontestable, mais à la morale si sélective? Les laisser parler sans prendre part au récit, n’est-ce pas une façon de fuir nos responsabilités de journalistes et de réalisateurs? Ou est-ce une manière de laisser le public décider de ce qu’il fera de cette histoire? 
Derrière ce film, esthétiquement magnifique, il faut le dire – les images d’archives, la mise en valeur des bobines et pellicules, le montage de toutes les photos de cette femme sont tout simplement splendides – on découvre l’histoire d’une artiste proche du régime nazi, qui a tout fait pour nous détourner de son passé.