Entretien avec les reponsables du groupe juif LGBT

Beit Haverim

Le Beit Haverim, groupe juif gay et lesbien, fondé en France en 1977, est l’une des plus anciennes associations homosexuelles. Ses membres et sympathisants en attendent une réconciliation des identités: organiser du vécu collectif en soutien à l’identité juive (activités à l’occasion des fêtes juives, conférences, voyages en Israël par exemple), lutter contre les discriminations et toutes les expressions d’homophobie et d’antisémitisme, et faire reconnaître au sein de la communauté juive l’existence des homosexuels. Les enquêtes menées auprès des juifs homosexuels de cette association montrent qu’ils partagent avec les autres juifs de France la même diversité identitaire: le religieux mais aussi les traditions familiales, la culture, l’histoire, la mémoire, l’appartenance à un peuple. Seuls les plus pratiquants d’entre eux soulignent une incompatibilité entre judaïsme et homosexualité. Les autres vivent assez sereinement leurs deux dimensions identitaires.

Martine Gross

ENTRETIEN AVEC FRANK JAOUI, PORTE-PAROLE

Pourquoi y a-t-il besoin d’un mouvement militant LGBT au sein du judaïsme français ? Quels sont les enjeux ?

Je vous répondrai d’abord par l’exemple vécu de la loi du mariage pour tou-te-s. La famille et les enfants sont une valeur fondamentale dans le judaïsme. Quand on parle de mariage pour tou-te-s dans le judaïsme, il y a un paradoxe car les rabbins orthodoxes vont dire que cela n’est pas per- mis par les textes bibliques, alors que les rabbins progressistes vont saluer la volonté de faire famille de la part des couples de même sexe. En outre, tous les rabbins doivent respecter la loi civile de leur pays d’accueil, c’est une tradition dans le judaïsme. Donc certains rabbins progressistes vont pratiquer des unions de couples de même sexe sans états d’âme, tandis que beaucoup de rabbins orthodoxes vont être écartelés entre deux principes contradictoires : le respect de la loi civile et le respect des textes bibliques. Tant que la loi civile empêchait l’union de couples de même sexe, les rabbins orthodoxes avaient beau jeu de refuser les mariages religieux de couples de même sexe, mais désormais ils ne peuvent plus le refuser. Ils ne le refusaient pas forcément par homophobie, mais par circonstances propres à leur tradition. L’ancien Grand rabbin de France, Gilles Bernheim, a pris position contre le projet de loi du mariage pour tou-te-s, en raison de sa tradition orthodoxe. Or, un an avant, à la demande du Beit Haverim, il avait signé et diffusé une déclaration condamnant l’homophobie religieuse.

Quelles sont aujourd’hui les aspirations du Beit Haverim ? Qu’attendez-vous des institutions juives ?

Nos adhérents sont assez représentatifs des juif-ve-s français ; ils partagent souvent les mêmes aspirations. Par exemple, sur la loi, il y avait toutes les opinions, donc chacun-e a réagi selon ses convictions. Une majorité y était favorable, bien sûr, mais certain-e-s étaient sceptiques. La plupart ont néanmoins fortement ressenti l’homophobie des manifestations d’opposition au projet de loi. Surtout, le débat public a créé une exposition médiatique sans précédent de notre association. Auparavant, la présence médiatique du Beit Haverim était relativement rare, notamment dans les médias communautaires juifs. Elle est désormais beaucoup plus forte, cela n’a plus rien à voir. Le présent numéro de Tenou’a en est l’exemple le plus parlant.
Certains adhérent-e-s du Beit Haverim ont souffert d’homophobie dans leur famille, durant cette période. La présence médiatique a favorisé un débat dans la communauté juive sur l’homosexualité. La majorité silencieuse a dû en déduire que les homosexuel-le-s souhaitaient avoir une vie familiale et conjugale « comme tout le monde ». Il reste encore des blocages, mais l’état d’esprit a changé. Il y a quinze ans, on n’aurait jamais osé aborder ce sujet en famille. Aujourd’hui, ce n’est plus tabou.
Les prochains enjeux seront ceux de l’identité de genre, de l’homoparentalité et, peut-être, du mariage religieux.

Pour toute information sur le Beit Haverim, voir le site www.beit-haverim.com. Le Beit Haverim organise des soirées conviviales ouvertes à toutes et tous chaque dernier jeudi du mois à 19h30 à la Maison du Beit, 5 rue Fénelon, Paris 10.