Être en train

Le journaliste, fondateur et rédacteur en chef d’Ernest vient de publier « Être en train – Récits sur les rails », un ouvrage oscillant entre essai et chronique, où il livre son amour des voyages en train. En filigrane, sa passion pour la littérature vient ponctuer ses portraits de passagers et saynètes teintées d’humour dans le huis clos des wagons.

Un contenu LE LAB Tenou’a

Entretien avec David Medioni

Quel a été le déclencheur de la rédaction de ce livre sur le voyage en train ?
Il est venu de discussions avec mes enfants. Un matin au petit-déjeuner, l’un m’a raconté rêver de prendre le Poudlard Express, le train dans Harry Potter. Quelques jours plus tôt déjà, alors que nous regardions la Grande Vadrouille, tous deux avaient été fascinés de voir l’aviateur anglais manger dans un wagon-restaurant ; je leur ai appris qu’il était même possible de dormir dans certains trains. Et bien qu’enfants de la génération TGV, ils en ont perçu le côté magique. Lorsque j’ai repris le train, je me suis donc mis à observer les gens, à essayer de capter leurs conversations. J’en ai tiré un petit texte que j’ai posté sur les réseaux sociaux et qui a récolté de nombreux commentaires. J’en ai conclu qu’il y avait quelque chose à creuser.

Vous êtes à la fois auteur et acteur de ce livre. Entre essai, chronique et journal de bord, il est quelque peu inclassable…
C’est vrai qu’il est hybride. Il y a tout d’abord une dimension d’essai avec une réflexion sur la société de la vitesse, la place du train dans nos vies, ce que veut dire le chemin de fer et pourquoi il faudrait repenser les trains de nuit et les petites lignes. Et comment, finalement, nous avons tous une relation charnelle avec le train. Après vient une dimension de récit journalistique ; je me suis placé dans cette situation d’être observateur et acteur de ce qui se passait et de raconter à la façon du récit le train et les histoires de vie des gens.

Pour la rédaction, vous vous êtes inspirés de 52 voyages réalisés en un peu plus d’un an. Comment avez-vous sélectionné les histoires que vous narrez ?
J’ai divisé le livre en trois grandes thématiques. Tout d’abord, les tics du train : la peur de rater celui du matin, le problème de la valise, le fumeur qui sort à chaque arrêt, la querelle de la place… Des situations que vous pouvez rencontrer à chaque voyage. Ensuite il y a les vies de train : une réflexion sociétale et philosophique sur les passagers. Enfin, la troisième thématique concerne le transport amoureux – que l’on soit fâchés ou que l’on s’aime – un sujet inépuisable… Que ce soit dans le train, l’avion ou la voiture, il y a quelque chose qui se passe avec l’amour et le transport en général.

Le train nourrit-il le fantasme ?
Oui je le pense. Nous avons tous et toutes rêvé de discuter avec notre voisin que nous avons trouvé joli(e) quand il ou elle nous a souri. Et on s’est demandé ce qui se passerait si on lui parlait. Le fameux « et si ? ». Il y a cette dimension sensuelle, tournée vers la possibilité d’une rencontre. À l’instar de l’histoire de ce couple de Sciences Po que je relate dans le livre1 qui ne pouvait résister à son envie de se toucher et de s’aimer. Et c’était d’une vraie beauté, reflétant ce côté universel des premiers instants de l’amour. Cela dit des choses de tous les possibles du train.

Tout au long des chapitres, vous liez le voyage à la littérature et la lecture. Le train est-il le dernier endroit où l’on lit ?
Ce lien constant avec la littérature est en effet volontaire ; certainement parce que j’ai fondé Ernest2, que j’ai une passion pour la littérature et les livres, et tout ce qui a trait aux mots et que je considère que le livre a des choses à dire au monde et que le monde a des choses à dialoguer avec la littérature. Ensuite, je ne sais pas si c’est le train est le dernier endroit où on lit mais certainement l’un des derniers, oui. Lors de ces différents voyages, je me suis rendu compte qu’il y avait une espèce de guerre entre les écrans et les livres mais qu’il restait, malgré tout, énormément de livres dans les trains. Et ce n’est certainement pas anodin car c’est un moment où on se retourne sur soi-même, où globalement il y a moins de sollicitations, où les réseaux wifi et téléphonique ne sont pas forcément bons et où finalement, on est sûr d’avoir le temps de lire.

Les choix de lecture des passagers révèlent-ils des facettes de leur personnalité ?
Dans le train, les gens ont moins peur de dévoiler ce qu’ils lisent. J’ai croisé par exemple une personne qui lisait Comprendre son chat… J’ai vu également des femmes avec des ouvrages tournés vers la sensualité ou le plaisir féminin, voire même carrément sensuels ou sexuels. Je crois, oui, que notre lecture doit dire quelque chose de nous et de la capacité qu’a un livre de nous faire sortir de nous-mêmes.

Croyez-vous qu’entre la pandémie et les enjeux écologiques auxquels la société doit faire face, le train – notamment de nuit – opèrera bientôt un retour en grâce ?
Le train de nuit c’est la magie du train et de la nuit, une expérience humaine forte. Et je crois qu’on a oublié que ce mode de transport pouvait être bénéfique pour nous et pour notre pays. Ce projet de rouvrir des lignes de nuit pourrait entraîner la réactivation d’un tissu économique mais aussi une autre façon de voyager. A-t-on besoin d’aller à Toulouse en une heure d’avion ? Ne peut-on pas y aller en une nuit par le train ? La pandémie et le télétravail vont également modifier notre façon de nous déplacer, ce qui j’espère, devrait apporter une réflexion profonde. Et si le livre y contribue, tant mieux. Car il est possible de faire et de réfléchir autrement : prendre le temps de voyager, même si c’est pour le boulot et même si c’est plus long, car cela signifie préserver d’autres choses tout aussi importantes.

Propos recueillis par Noémi Lecoq

Être en train – Récits sur les rails, Éditions de l’Aube, 2021, 17 euros

1 : Les amoureux des places 52 et 53, « Transports amoureux »
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2 : www.ernestmag.fr
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