HERTZ GOTFRYD – L’ESPOIR DE LA ZONE LIBRE

HERTZ GOTFRYD quitte la Pologne pour la France en 1930, à l’âge de 29 ans. Il s’installe à Paris et, lorsqu’éclate la guerre, est incorporé à Auxerre. Recensé comme Juif à Paris après l’Armistice, il passe clandestinement en zone libre à la toute fin de l’année 1941. Assigné à résidence par le préfet du Lot-et-Garonne, il intègre les effectifs de l’usine Lafarge en juillet 1942. Épargné par deux rafles en août 1942 et février 1943, il finit par être arrêté le 9 septembre 1943 et interné au camp de Noé en dépit des protestations de son employeur (voir page 50). Après un passage par Martigues, il est transféré à Drancy en avril 1944, où il reste un mois avant sa déportation par le convoi 73 vers les pays baltes où il est assassiné.

© Alexandre Doult / Sandrine Labeau

HERTZ (HERSZ) BINEM GOTFRYD, 32 ANS
Né à Varsovie le 12 mars 1901.
Déporté de Drancy à Reval le 18 mai 1944 par le convoi n° 73.
Assassiné.

CONVOI N° 73
PARTI DE DRANCY LE 15 MAI 1944, ARRIVÉ À KAUNAS (LITUANIE) LE 18 MAI 1944 ET À REVAL (ESTONIE) LE 20 MAI 1944
878 DÉPORTÉS DONT 38 ENFANTS
24 RESCAPÉS
Les déportés de ce convoi, uniquement des hommes en état de travailler, pensaient partir travailler pour l’organisation TODT. Ils sont en fait déportés en Lituanie et en Estonie.
De ce groupe de 878 hommes, il ne reste plus qu’une trentaine d’hommes vivants en août 1944 lorsqu’ils sont transférés au camp de Stutthof, puis deux mois plus tard, à Neunengamme.

Sources : S. Klarsfeld, Mémorial de la Déportation des Juifs de France
et A. Doulut, S. Klarsfeld, S. Labeau, Mémorial des 3 943 rescapés juifs de France

Hersz Binem Gotfryd est né à Varsovie le 12 mars 1901. Son père s’appelle Lew, sa mère Szlata, née Luttebroth. En 1930 il arrive en France et s’installe à Paris où il devient ouvrier repasseur. « De nationalité indéterminée d’origine polonaise », il est déjà considéré comme apatride par l’administration, vraisemblablement parce qu’il n’a aucun papier officiel de son pays natal. Par ailleurs, en 1939 il se déclare célibataire, mais peut-être vit-il déjà maritalement avec Gitla Langleben, la femme qui partage plus tard son quotidien à Nicole dans le Lot-et-Garonne.

En septembre 1939 il part sous les drapeaux au 89e régiment à Auxerre. Revenu à Paris après l’Armistice, il est recensé comme juif dans le 4e arrondissement en octobre 1940. On ignore comment il a échappé à la rafle du Billet vert, puis à celle d’août 1941. En tout cas il n’est pas clandestin puisqu’en octobre 1941, il s’est bien présenté au commissariat de son quartier lors du pointage général des Juifs organisé par la préfecture de police. Le tampon Juif est d’ailleurs bien apposé sur sa carte d’identité. Est-ce la troisième rafle contre les Juifs de la capitale, le 12 décembre 1941, ou l’exécution de 51 Juifs au Mont-Valérien trois jours plus tard qui le convainquent de partir ? Le 29 décembre 1941, il franchit clandestinement la ligne de démarcation.

LE PASSAGE EN ZONE LIBRE

C’est à la fin novembre 1941 que la multiplication des passages clandestins de la ligne de démarcation suscite une réaction du gouvernement. Pucheu, secrétaire d’État à l’Intérieur, fait connaître aux préfets de zone libre les décisions à prendre à l’égard des étrangers arrêtés : au mieux ils doivent être assignés à résidence dans une petite commune, sinon être incorporés dans un groupe de travailleurs étrangers, au pire internés. Pour les étrangers apatrides, c’est l’internement qui devient la règle mais le ministre de l’Intérieur laisse aux préfets la possibilité d’une certaine indulgence au cas par cas. Les femmes et les personnes accompagnées d’enfants sont internées à Rivesaltes, les malades et les infirmes à Noé et Récébédou, les hommes inaptes au travail à Gurs, les hommes et les femmes jugés suspects ou « dangereux du point de vue national » sont enfermés au Vernet-d’Ariège et à Brens. Contrairement à ce qui se passe en zone occupée, les Juifs français éventuellement contrôlés après leur passage en zone libre ne sont jamais internés : seuls les étrangers, juifs ou pas, sont visés.

Connaissait-il quelqu’un en Lotet- Garonne ou s’est-il fixé dans ce département par obligation après avoir franchi la ligne depuis la Gironde ? L’ex-Parisien est en tout cas assigné à résidence par le préfet à peine quelques jours après son passage. Sa compagne n’est pas recensée comme juive en Lotet- Garonne en 1941, il ne vient donc pas a priori la retrouver, c’est même sans doute elle qui le rejoint en 1942.

En juillet 1942, il trouve un emploi d’ouvrier carrier dans l’usine Chaux et ciments Lafarge à Nicole. Au moins 14 autres Juifs sont employés comme lui sur ce site, ainsi que de nombreux Espagnols. Le 26 août 1942, lors de la rafle des Juifs étrangers de zone libre, son nom ne figure pas sur la liste des Juifs à arrêter : entré en France avant 1936, il n’est pas concerné. En revanche, les quatorze autres manoeuvres juifs, réfugiés de Belgique en mai 1940, sont emmenés ainsi que cinq conjointes et deux enfants. Lors de la seconde rafle de zone sud en février 1943, Hersz Gotfryd est à nouveau épargné.

LA RAFLE DE FÉVRIER 1943

Après l’exécution de deux officiers de la Luftwaffe à Paris par des résistants, les Allemands exigent la déportation de 2 000 Juifs. En Lot-et- Garonne, la rafle a lieu le 20 février, mais là comme dans tous les autres départements, le quota fixé par le préfet régional (100 hommes) n’est pas atteint : 40 hommes seulement sont regroupés à Gurs. Sur ordre du préfet régional, les gendarmes lancent une seconde salve qui leur permet d’approcher le nouveau quota, avec 25 hommes livrés sur 30 demandés. Au total, de la zone sud (à l’exception des départements occupés par l’Armée italienne), 1 858 hommes sont expédiés à Drancy les 28 février et 4 mars 1943.

Après cette rafle, Hersz Gotfryd est le dernier Juif encore employé à l’usine Lafarge. Le 9 septembre 1943, il est à son tour arrêté à Nicole par les gendarmes et conduit au camp de Noé.

LA RAFLE DE SEPTEMBRE 1943 POUR L’ORGANISATION TODT

En soi, cette rafle n’est pas directement liée à l’histoire de la Shoah : les hommes embarqués durant cette opération ont été déportés neuf mois plus tard, depuis leur lieu de travail. Son but n’est pas la déportation, mais la réquisition d’une main-d’oeuvre qui, justement parce que juive, échappait au service du travail obligatoire (STO). Cette dernière rafle « française » qui a eu lieu en zone sud contre les Juifs étrangers de sexe masculin âgés de 18 à 50 ans, à des dates comprises entre août et octobre 1943, destinait ces hommes au travail forcé sur des chantiers de l’Organisation Todt (OT), dans les Bouches-du- Rhône le plus souvent. C’est au camp de Noé qu’autour de 100 Juifs (sur les 1 300 prévus) raflés dans le Sud-Ouest sont rassemblés avant leur transfert vers Marseille. Cette rafle, dans sa préparation et son exécution, semble de prime abord comparable à celle de février 1943 : seuls les adultes étrangers de sexe masculin étaient visés. Mais cette fois la destination n’est pas Drancy et Vichy n’a pas à fournir un contingent dicté par les Allemands.

Quant aux résultats, ces rafles pour l’organisation Todt ont partout été un échec, sans doute parce que policiers et gendarmes traînaient cette fois les pieds, voire prévenaient les futures victimes ; des fuites venues des préfectures se sont également produites.

Une partie d’entre eux a ensuite été transférée vers Drancy depuis ces chantiers au printemps 1944 : cela résulte du choix des Allemands, formalisé par Knochen et Brunner dans une note du 14 avril 1944, de déporter dorénavant tous les Juifs de France, y compris ceux qui travaillaient pour leur compte. L’impact de cette rafle sur le bilan humain de la Shoah, environ 200 déportés de zone sud, est sans rapport avec l’hécatombe des deux précédentes rafles de la police française (août 1942 et février 1943).

Les protestations de son employeur auprès du préfet n’y font rien, Hersz Gotfryd rejoint au camp de Noé les autres Juifs arrêtés. Transféré au GTE 212 de Martigues, il travaille sur les chantiers Todt jusqu’au 16 avril 1944, date de son transfert au camp de Drancy. Il y reste un mois, jusqu’au 15 mai 1944.

LE CONVOI 73 DU 15 MAI 1944

Hersz Binem Gotfryd est déporté de Drancy par le convoi 73 à destination de Kaunas en Lituanie le 15 mai 1944. Sur les 74 convois qui ont emporté les Juifs de France vers les centres de mise à mort, celui-ci est le seul à avoir eu Kaunas comme destination.

Les 878 déportés du convoi 73 sont tous des hommes. À l’arrivée à Kaunas, un peu plus de la moitié d’entre eux sont extraits du train et emprisonnés à la forteresse n° 9, tandis que le reste du convoi est dirigé vers Talinn en Estonie. À Kaunas, les SS viennent régulièrement extraire des hommes de la prison, que leurs codétenus ne revoient plus jamais ; le travail dans la tourbe sur le site de Pravieniskes fait aussi des ravages. Le sort des quatre cents autres hommes envoyés à Talinn est tout aussi atroce : les Allemands viennent chercher des soi-disant « volontaires pour le travail » afin de les assassiner. En 1945, il n’y a que 24 rescapés, provenant surtout du groupe de Talinn.

Le sort de Hersz Gotfryd demeure assez singulier : à Paris d’abord, il échappe aux deux grandes rafles de 1941 alors que des milliers de Juifs d’origine polonaise comme lui sont internés dans le Loiret ou à Drancy ; en zone sud, là encore il n’est pas arrêté lors des deux principales rafles qui déciment les Juifs étrangers le 26 août 1942 et en février 1943. C’est finalement lors de la dernière rafle, au cours de laquelle peu d’hommes sont arrêtés, qu’il est pris en septembre 1943. Enfin, ce n’est pas vers Auschwitz qu’il est déporté mais vers Kaunas, dans un convoi resté unique, le convoi 73.

© Alexandre Doult / Sandrine Labeau
  • François Heilbronn

75 568 NOMS DES JUIFS DÉPORTÉS DE FRANCE ET, PARMI EUX, Ernest Heilbronn

ERNEST HEILBRONN a eu quatre enfants. À l’été 1941, il quitte Paris pour Grenoble. Lorsque les Allemands envahissent la zone italienne, il trouve refuge dans la ville thermale d’Uriage où il sera arrêté par des SS dirigés par Alois Brunner, en compagnie de son épouse et bientôt rejoint par sa fille Marcelle. Tous trois furent déportés par le convoi 69 vers Auschwitz et assassinés dès leur arrivée.
Son arrière-petit-fils, François Heilbronn, est aujourd’hui vice-président du Mémorial de la Shoah à Paris. Il nous raconte l’histoire d’un banquier en retraite, d’un patriote dont trois enfants furent d’authentiques héros de la Première guerre mondiale et dont l’un fut tué au combat en 1940, d’un homme rattrapé par les SS d’Alois Brunner et assassiné dans les chambres à gaz de Birkenau.

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