Trois questions à Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah

Initialement, le Mémorial de la Shoah est un centre d’archives. Aujourd’hui, ses activités et missions sont bien plus larges. Pouvez-vous en parler ?

À l’origine du Mémorial de la Shoah, il y a le Centre de Documentation Juive Contemporaine créé par Isaac Schneersohn dans la clandestinité pendant la guerre afin d’écrire l’histoire de la persécution des Juifs et participer à l’action de la justice. Cette activité d’archives se poursuit aujourd’hui, avec plus de 40 millions de documents et 250 000 photos ; le Mémorial est devenu le plus grand centre de documentation en Europe. En 1956, notre institution intègre en son sein un mémorial avec la crypte et, depuis 2005, c’est le Mémorial de la Shoah tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec notamment le Mur des Noms qui conserve la mémoire des 76 000 Juifs déportés de France. Depuis la rénovation de 2005, nos activités de transmission et d’éducation ont pris une place fondamentale, non seulement sur l’histoire de la Shoah mais sur l’histoire des génocides. Nous attachons également beaucoup d’importance à la formation des enseignants. Parmi les autres missions du Mémorial, il y a aussi un rôle fédérateur et de soutien pour tous les lieux de mémoire de la déportation et de l’internement des Juifs en France.

Parmi vos missions, beaucoup sont éducatives, y compris certaines face à des gens condamnés pour des faits de racisme et d’antisémitisme. Pourquoi vous semble-t-il essentiel d’enseigner la Shoah et de transmettre sa mémoire ?

Le Mémorial a en effet la charge de recevoir afin de les sensibiliser certaines personnes condamnées par la justice. Le but est pour nous de leur permettre de remettre en question leurs certitudes, de leur montrer des documents, des témoignages mais aussi les conséquences d’une idéologie raciste et antisémite. Mais il n’est nul besoin que les gens aient été condamnés pour racisme pour que l’enseignement de l’histoire de la Shoah leur soit essentiel. Recevoir le public, les élèves, transmettre cette histoire, est fondamental parce qu’il ne s’agit pas de l’histoire des Juifs uniquement, mais bien de la France et de l’Europe. Le génocide est un crime contre l’humanité, pas uniquement contre le groupe qui le subit. C’est la raison pour laquelle depuis 2005, le Mémorial travaille également sur le génocide des Arméniens et des Tutsis.

Le Mémorial, en dépit de ses nombreuses activités, fonctionne avec une équipe assez restreinte. Pouvez-vous nous parler en quelques mots des femmes et des hommes qui animent le Mémorial au quotidien ?

Nous avons au Mémorial des historiens, des archivistes, des guides qui travaillent à la fois à l’intérieur du Mémorial et à l’extérieur, par exemple en accompagnant des élèves du secondaire à Auschwitz-Birkenau, à Natzweiler-Struthof ou dans d’autres lieux de mémoire. Une visite de ce type, une rencontre avec un rescapé, la visite d’une exposition, doivent apporter aux élèves un savoir et une conscience, et nous sommes là pour aider les enseignants à faire en sorte que leurs élèves ne passent pas à côté de ces visites ou de ces rencontres. Notre équipe est également là pour orienter et aider les chercheurs du monde entier qui viennent consulter les archives que nous conservons, qu’il s’agisse de documents, de films ou de photos. Enfin, le Mémorial est aussi, comme son nom l’indique, un lieu de mémoire, de commémoration. Les femmes et les hommes qui travaillent ici œuvrent chaque jour avec professionnalisme, conscience et dévouement pour que chacun puisse y trouver le recueillement et les connaissances qu’ils sont venus y chercher. Travailler au Mémorial de la Shoah n’est pas tous les jours facile, car le sujet est difficile. Mais notre mission est enrichissante et utile, donc gratifiante. L’équipe du Mémorial est motivée et son implication dépasse le cadre d’un simple travail.

À lire :
Histoire des juifs de France, du Moyen-Âge à la Shoah, Gallimard, 2011
Drancy, un camp d’internement aux portes de Paris, Privat, 2015