Être journaliste, productrice de podcasts et vivre avec un rabbin de la communauté libérale, cela signifie avoir reçu 276 fois le même message en septembre 2024: “Tu as vu que Netflix sortait une série sur un rabbin en couple avec une podcasteuse??” Cela veut dire aussi, soyons honnête, que nous étions tous les deux devant notre écran le soir de la sortie de Nobody Wants This, l’une des séries les plus regardées depuis un mois. Il se trouve que j’avais repéré depuis longtemps cette fiction au pitch inattendu – un rabbin tombe amoureux d’une podcasteuse non juive, experte des questions de sexualité –, ayant autant d’appétence pour les comédies romantiques que pour tout ce qu’on peut ranger dans la vaste catégorie des “sujets juifs”. En effet, je fais partie de ces gens qui vont systématiquement au cinéma voir un film qui parle de Juifs ou qui scrutent tous les nouveaux livres appartenant tant au rayon Shoah qu’au rayon kémia.
Une série ayant pour tête d’affiche Adam Brody alias Seth Cohen de Newport Beach ne pouvait donc pas échapper à notre foyer, surtout quand on sait que nous nous sommes rencontrés en intervenant chacun lors d’une conférence sur… la représentation des femmes juives dans les séries Netflix. Une thématique visiblement inépuisable puisque quelques années plus tard, nous pourrions désormais ajouter à notre étude les personnages féminins de Nobody Wants This, qui, eux aussi, font déjà couler beaucoup d’encre.
Mais nous ne le savions pas encore quand nous avons commencé à regarder les aventures de Noah, le fameux “hot rabbi” qui casse les stéréotypes éculés sur la représentation du rabbin. Souvent tête nue, habillé en jean ou en jogging, sauf quand il officie, il ne colle pas à l’image du barbu de noir vêtu qui garde ses distances avec la gent féminine. Et ça fait du bien. Loin des représentations cinégéniques mais compassées de l’ultra-orthodoxie que donnaient à voir Unorthodox, Shtisel ou Diamants Bruts, loin des figures surhumaines d’espions ou de soldats israéliens de The Spy ou Fauda, les personnages de Nobody Wants This ressemblent sociologiquement à l’écrasante majorité des Juifs de notre vaste monde.
Ils ressemblent aux Juifs que “mon rabbin” côtoie, qu’il s’agisse des fidèles ou des professionnels de la communauté. Si Noah porte une courte barbe, son boss à qui il doit succéder n’en porte pas du tout, et a d’ailleurs un air de monsieur tout le monde. Une représentation de la masculinité juive qui tranche avec l’imagerie Shtisel, la rendant moins exotique et fétichisée, mais peut-être plus accessible pour les personnes peu familières du monde religieux.
L’année dernière, déjà, le film Tu peux oublier ma Bat-Mitsvah, avec Adam Sandler, mettait en scène la communauté juive de Los Angeles, où les rabbins sont aussi des femmes qui jouent de la guitare, et les héroïnes sont des collégiennes qui préparent leur bat mitsva, entre une embrouille sur Whatsapp et un baiser volé dans une bibliothèque. Nobody wants this nous permet à nouveau d’entrer dans le quotidien de Juifs non orthodoxes, fait de femmes rabbins, de kasherout plus ou moins stricte, de sorties du week-end pas toujours très shabbatiques et surtout, de couples mixtes qui représentent aussi une réalité de la vie juive contemporaine. Ici, même le rabbin tombe amoureux d’une shiksa, terme yiddish péjoratif mais surtout très américain pour dire “non-Juive”, qui nous replace dans le contexte californien de l’intrigue.
C’est ce que je retiens de Nobody wants this: plus qu’un judaïsme libéral, la série nous donne à voir un judaïsme américain, pays plus ouvert à la pluralité religieuse et où les codes communautaires juifs sont très différents des nôtres. Malgré les nombreuses explications de “mon rabbin”, je n’ai d’ailleurs toujours pas compris si Noah était “reform” (libéral, courant majoritaire aux États-Unis) ou “conservative” (massorti)… La série pose sans tabou la question de la mixité, dilemme vécu ici par le rabbin qui, du fait de son engagement religieux, aurait dû en être épargné. Comme Ben Stiller dans Au nom d’Anna, Noah-Adam Brody va devoir faire un choix qui remet sur le tapis le sujet vieux comme le monde du mariage hors de la communauté. Dilue-t-il le judaïsme ou lui permet-il au contraire de survivre en sortant de ses frontières traditionnelles?
Il faut bien admettre que l’interrogation centrale de la série est une question que toute personne juive se pose à un moment de sa vie, même si je suis parfois gênée de l’image d’entre-soi qu’elle peut véhiculer.Doit-on nécessairement se marier entre Juifs quand on est une infime minorité de la population? Je sais que beaucoup de mes amies non juives ont regardé Nobody wants this mais je suis mitigée à l’idée d’en parler avec elles tant certaines nuances me semblent difficiles à expliquer. Pourtant, l’adage “Marie-toi sur ton palier” n’a pas été inventé par les Juifs; mais le procès en communautarisme n’est jamais loin, surtout dans l’année post-7 octobre que nous traversons. Une année où l’aspiration à former un couple juif a été ravivée pour beaucoup, et où regarder une série mièvre est l’une des rares activités qui nous permette de nous changer les idées. Alors oui, beaucoup de scènes sont caricaturales et ne donnent pas envie d’avoir une belle-mère ou une belle-sœur juive. Oui, la protagoniste Joanne est directement inspirée de l’histoire de la créatrice du show, Erin Foster, qui a raconté s’être convertie au judaïsme par amour. Oui, Joanne semble infiniment plus cool que les autres femmes qui restent en bande et sont amères en solidarité à leur amie Rebecca larguée par le rabbin. Après tout, il ne s’agit pas d’un documentaire Arte mais bien d’une rom com, dont les codes sont respectés à la lettre, quitte à enfermer les femmes dans des stéréotypes sexistes. Alors misons sur la saison 2, déjà annoncée, pour instiller de l’épaisseur chez toutes ces femmes juives portées à l’écran, pour une fois sans perruque ni jupe longue, et pourtant viscéralement attachées à leur identité. Et qui sait, peut-être que cette saison à venir donnera naissance à de nouvelles conférences sur la représentation des femmes juives dans les séries?