Hello !
Je m’appelle Julia, j’ai vingt-sept ans. Comme beaucoup d’entre vous, je baigne dans les images, les infos, les réseaux sociaux. Mes études et mon travail dans les médias m’ont façonnée à m’étonner et tout déboulonner. Je vous proposerai désormais un tour d’horizon de ce qui peut, à mon sens, faire l’actualité des identités juives, sur internet. Mon matériau : les réseaux sociaux, amplificateurs des questions de notre temps. Je m’en servirai comme lunettes pour chroniquer les petits et grands bouleversements qui marquent, secouent, façonnent les identités juives et spirituelles. Je vous parlerai d’un temps que les moins de vingt ans semblent très bien connaître : Instagram, trends TikTok, prises de paroles, prises de pouvoir, jeux d’identités sur les réseaux sociaux… Bref, un snapshot pour réfléchir ensemble, au-delà des bulles de filtres, à la place de la religion dans le monde tel que nous l’habitons.
Si vous ne le connaissez pas encore, le compte Instagram @hey.alma remonte le moral. Une curation de pépites féministes-juives, représentant une pluralité de voix, avec pour point commun d’être très drôles. Peut-être rirez-vous comme moi devant les sketchs de l’excellente Raye Schiller : « J’ai fait l’erreur de dire à ma mère que je voulais être polyamoureuse. Elle s’insurge : “C’est contre les valeurs de la Torah !” Hum. Vous connaissez quelque chose à l’Ancien Testament, vous ? Jacob a 4 femmes. David, 8 femmes. Le Roi Salomon, 700 femmes ! Moi je veux, max, 2 femmes ! Bon, et si je ne peux pas faire ça, je me contenterai d’une femme et d’une concubine. » L’humour, toujours !
Magali Berdah a reçu l’équivalent d’un message haineux toutes les deux minutes sur Instagram, depuis le 22 mai 2022. Dont des messages antisémites, antisionistes, et des menaces de mort. Cette influenceuse, chroniqueuse chez TPMP, et surtout cheffe de Shauna Events, une entreprise d’influence très très successful, a porté plainte pour harcèlement contre Booba, rappeur iconique (et colérique). En bref – pour ceux qui sont passés à côté (mais qui êtes-vous ? !) – elle est accusée par Booba – fraîchement lanceur d’alerte et nouvellement protecteur de citoyens vulnérables – d’avoir volé de l’argent via des opérations d’influence et d’avoir abusé de la faiblesse d’autrui. Il mène désormais une lutte contre les « #influvoleurs » dont Magali Berdah est l’incarnation, backé par ses plusieurs millions de followers (5,7 millions sur Twitter).
Le Monde parle d’une « vendetta virtuelle et juridique », comme il en existe à profusion, me direz-vous. Pour qui est sensible aux limites et aux effets collatéraux du marketing (même hors ligne – et même de la part de Booba, lui-même sacrément influenceur, à sa manière), les faits reprochés sont justifiés et compréhensibles. Pas la haine qui en découle. Encore une fois, l’antisémitisme a jailli du sous-sol. Magali Berdah a mis en ligne fin juillet une vidéo recensant les injures dont elle était victime. « Plus tu agonises, plus ça m’excite », lui dit Booba. Et il suffit de lire les commentaires sous ses publications Instagram (« Évidemment tu es feuj », etc.) pour être témoin de la haine des Juifs qui vient se mêler à la bagarre. Quand la justice a suspendu les comptes Instagram du chanteur, ce dernier n’a rien tenté pour calmer le jeu auprès des plus grands fous de sa communauté, qui ont redoublé d’insultes, pour la plupart antisémites. Pourtant, il se défend avec son avocat : « Ni le judaïsme ni l’antisémitisme ne sont en cause. Et nous ne saurions tolérer qu’ils soient ainsi instrumentalisés et érigés en système de défense ».
Pourquoi j’en parle ? Parce que j’ai souvent chanté Booba à tue-tête, et que je suis pétrifiée par cette convergence des luttes, ce mélange des genres qui floute le débat et le transforme en guerre des clans. Je suis toujours aussi pantoise de voir l’antisémitisme s’inviter massivement et ouvertement en ligne ; devant ces escalades de violence qui annihilent tout débat, et séparent, toujours plus, sans espoir de réconciliation. Comment penser la conversation, en ligne, au-delà des identités caricaturées par les réseaux sociaux ? Une scène de la vie numérique malheureusement bien ordinaire, mais pas moins insupportable.
C’est pour les podcasteuses Élise & Julia qu’est mon mot de la fin. Entrepreneuses, podcasteuses, même pas trentenaires, créatrices de contenus, juives et lesbiennes, elles s’approprient les grandes questions de notre époque, parlent cash et font du bien. Leur prise de parole d’avril sur Radio J (puis relayée sur Insta) : « Je pense que quand on est juif, on grandit dans des milieux géniaux, mais dans un univers ou l’homosexualité n’existe pas », avait fait plus de 72 000 vues. Pas mal d’aplomb – que de soulever une « omerta communautaire qui peut tuer » à la radio juive, à heure de grande écoute – et de force de frappe.
Récemment, j’ai écouté leur épisode avec Ginette Kolinka, survivante de la Shoah. Elle leur raconte son histoire, sa déportation, comme une grand-mère à ses petites filles. Bien que Ginette ait déjà pléthore de témoignages à son actif, j’aime que ce récit soit par, et pour la dernière génération à fréquenter des rescapés. J’aime que ces deux femmes s’emparent et réveillent les questions essentielles de notre décennie, en les faisant connaître sur les réseaux sociaux, avec les codes de leur génération, un langage simple, basique, plein de révolte, d’humour et d’émotion. Elles m’intéressent, parce que je n’ai pas beaucoup de références de femmes juives de mon âge, avec une si grande liberté de ton. Elles m’intéressent parce qu’elles donnent de l’espoir.
Elles peuvent presque paraître un peu freestyle quand elles s’adressent à leurs différents invités, mais après tout, elles parlent « aux millennials ». C’est leur ADN. Si vous voulez écouter deux femmes qui prennent à bras-le-corps la démocratisation de la mémoire, je vous recommande cet épisode avec Ginette Kolinka. Ou bien celui avec Raphaël Glucksmann, sur son combat pour les Ouïghours.
Si vous aussi, vous voulez partager votre veille, n’hésitez pas : julia@tenoua.org