Contenu réservé aux abonnés

L’amère juive

 

Bien loin de l’image de la mère juive débordant d’un amour qui se manifeste en toute occasion, Danièle Laufer raconte sa mère, survivante de la Shoah, une femme qui vivait au milieu de ses fantômes, coupée de ses affects.

Ma mère n’était pas une mère juive comme les autres

Je suis une fille de déportée. En relisant ces mots, j’ai un sentiment d’étrangeté et d’irréalité. Ma mère a été déportée. Lorsque je prononçais cette phrase, dans mes années d’adolescente, parce qu’il me semblait que cela expliquait une partie importante de ma personnalité sans que je sois vraiment capable de dire en quoi, mes interlocuteurs me regardaient sans comprendre. Et ils passaient à autre chose. Personne ne me posait de questions. Quand je me sentais en confiance, j’insistais un peu. Oh, pas lourdement. Mais j’y revenais de temps en temps pour justifier ma sensibilité, mon émotivité, ma fragilité. J’aurais voulu qu’on me cajole et qu’on me console de souffrir autant d’un événement qui ne m’était pas arrivé et que je ne comprenais pas.

J’ai eu une enfance étrange, un peu fracassée, avec une mère assez froide et bizarre qui parlait toute seule et ne savait pas aimer. Elle ne s’est jamais sentie juive. Ni avant ni après les camps. Son monde s’est pourtant arrêté avec la montée en puissance des nazis en Allemagne, mais elle a poursuivi son chemin dans sa tête comme si rien de tout cela n’était advenu. Une femme empêchée de vivre et d’aimer, dans la survie et l’interrogation, inquiète de tous les instants.

Abonnez-vous pour lire cet article

S’abonner en ligne