les Ambassadeurs de la mÉmoire

Le réseau des lieux de mémoire de la Shoah

La France a été l’un des théâtres d’opération importants de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Ce conflit a marqué de son empreinte des paysages, laissé des traces plus ou moins importantes encore visibles aujourd’hui. L’internement et la déportation figurent parmi ces phénomènes historiques majeurs liés à la Seconde Guerre mondiale dont l’accomplissement s’ancre dans des lieux au devenir contrasté.

Souvent perçu comme une histoire lointaine, l’accomplissement de la Shoah s’inscrit comme une continuité d’événements liés à la survie, à la persécution, à l’internement et à la déportation, survenus aux coins du territoire métropolitain et en Afrique du Nord, avant de se poursuivre tragiquement à l’Est du continent. Cette histoire s’est donc déroulée à l’échelle du pays tout entier, ancrée dans des centaines et des centaines de lieux de nature diverse, créant de fait un maillage diffus.

Dès l’après-guerre, une première vague de plaques et stèles a été érigée à l’initiative des associations des survivants comme sur les sites du Vel’ d’Hiv à Paris, sur les sites des camps de Drancy, de Pithiviers ou de Beaune La Rolande. Supports de commémorations, ces dispositifs utilisent les concepts et les termes de l’époque où ils sont conçus. Ils sont le reflet de leur présent, avec ses usages et ses lacunes. Ils veulent fondamentalement empêcher l’oubli, sans y parvenir toujours, en permettant aux vivants de se rassembler.

Pourtant, ces évocations demeurent isolées et fragmentaires, peu représentatives de l’ampleur de la Shoah en France, alors même que la masse des lieux n’est marquée d’aucune manière et que, si des traces ou des vestiges de leur destination durant la guerre subsistent parfois, la préservation de l’immense majorité des sites n’est aucunement mise en œuvre.

Pendant des décennies, il s’agit de lieux du souvenir et non de lieux de mémoire, pour reprendre la terminologie forgée par Serge Barcellini et Annette Wieviorka, tant la mémoire nationale a longtemps tenu à l’écart des sites porteurs d’une histoire qui restait à écrire, à considérer et à reconnaître.

La mémoire dominante est celle de la Résistance. La persécution des Juifs n’est qu’un aspect jugé secondaire.

Si la déportation de la Résistance européenne dans l’univers concentrationnaire nazi a été exaltée au cap des années soixante à travers le mémorial de Natzweiler-Struthof en Alsace, projet du ministère des anciens combattants, et de la crypte de l’Île de la Cité à Paris, une initiative du Réseau du souvenir, l’évocation du destin des Juifs d’Europe demeure peu présente en tant que tel, par-delà des plaques, de rares monuments et l’inauguration en 1956 d’une institution majeure installée à Paris, le Mémorial du martyr juif inconnu, au sein duquel s’installe le Centre de documentation juive contemporaine, fondé dans la clandestinité en 1943, puis fusionnant en 2005 sous le nom de Mémorial de la Shoah.

En France, comme dans de nombreux pays, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale connaît une évolution profonde à la fin des années soixante-dix, conséquence de facteurs multiples : historiques, culturels, sociaux et politiques, qui repose notamment sur un renouveau de l’historiographie, l’émergence de nouvelles générations avec le combat de militants comme Beate et Serge Klarsfeld pesant sur les pouvoirs et les politiques publics au cours des années quatre-vingt-dix, et aboutissant à une meilleure considération pour le sort des victimes.

Cette évolution, en France comme à l’étranger, c’est l’affirmation et la reconnaissance du destin spécifique des Juifs d’Europe, un sort singulier parmi la cohorte des victimes du nazisme, eux qui furent victimes d’un génocide à l’échelle du continent européen tout entier.

Les attentes désormais ne sont plus seulement de marquer le territoire par de simples points d’évocations symboliques, sur des lieux dont la société redécouvre la valeur, mais de créer des institutions pérennes destinées à préserver les sites en apportant un discours historique et une prise en charge pédagogique des visiteurs, alors que disparaissent les dernières générations-témoins de la Seconde Guerre mondiale.

Si certains ont craint une « saturation » de la mémoire de la Shoah par la multiplication de ces projets, on peut surtout constater qu’il s’agit d’une valorisation tardive de sites majeurs et complémentaires les uns des autres, prenant en compte leur histoire complexe, totalement ou partiellement liée à la Shoah.

Du Loiret à Gurs, des Milles à Rivesaltes, des figures des communautés juives locales, des descendants d’internés, des historiens, des responsables politiques vont se mobiliser pendant de longues années pour que ces sites deviennent non seulement des lieux de souvenir, mais enfin des lieux d’histoire et de mémoire, au terme souvent de plusieurs décennies de lutte. Le discours historique du président Jacques Chirac du 16 juillet 1995 sert de date pivot pour consacrer ce mouvement amorcé à partir du début des années quatre-vingt-dix.

D’importantes institutions voient le jour comme la Maison d’Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés, inaugurée en 1994 ou le Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement du Loiret et la déportation juive, fondé en 1991 grâce à l’engagement d’Hélène Mouchard-Zay et d’Eliane Klein, et installé dans un lieu pérenne à Orléans en janvier 2011, devenant le Musée-Mémorial des enfants du Vel’ d’Hiv.

Il faut surtout attendre les années deux mille pour que des institutions existent sur les sites centraux de la politique de répression, de la persécution et de la déportation nazie en France, situés à Compiègne et à Drancy. Le Mémorial de l’internement et de la déportation de Compiègne est inauguré en 2008, sur une parcelle du site du camp de Royallieu-Compiègne. Initié en 2005 par la Fondation pour la mémoire de la Shoah grâce à Serge Klarsfeld et Simone Veil, le Mémorial de la Shoah à Drancy est ouvert au public en 2012 face à la cité de la Muette.

À proximité d’Aix-en-Provence, dans une tuilerie préservée, le Mémorial du camp des Milles est inauguré la même année, après plus de vingt ans de combats portés par Sydney et Alain Chouraqui.

Le Mémorial du camp de Rivesaltes, impulsé en 1998 par le Président du Conseil général des Pyrénées-Orientales, Christian Bourquin, devenu en 2010 président du Conseil régional Languedoc-Roussillon, est lui inauguré en 2015, œuvre de l’architecte Rudy Ricciotti.

Cette valorisation est également portée au sein des sites rattachés à l’État, comme le Mémorial national de la prison de Montluc, ouvert en 2010, ou le renforcement de la mise en valeur du Mont-Valérien à partir de 2006.

Ce processus, appuyé par la création en 2000 de la Fondation pour la mémoire de la Shoah dans le sillage des travaux de la commission d’étude sur la spoliation de Juifs de France, concerne aussi des sites consacrés à l’accueil et parfois au sauvetage des Juifs pendant la Shoah, à l’instar du Lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon, ouvert en 2013, dans le sillage rendu en 2007 au Panthéon par la République aux Justes de France. Il s’égrène aussi par la multiplication de plaques et monuments exaltant le souvenir de personnes, inconnues ou illustres, victimes des politiques antisémites de l’État français et du iiie Reich, notamment à partir des années quatre-vingt-dix l’identité des enfants, symboles de la singularité du génocide.

Alors que, depuis le début des années deux mille, le ministère de la Défense s’attache à encourager le tourisme de mémoire et à favoriser les liens entre ses acteurs, le Mémorial de la Shoah initie en 2010 une célébration commune par les lieux de mémoire de la Shoah en France du 27 janvier, devenue en 2005 Journée internationale de la mémoire de l’Holocauste, sous le haut patronage du ministère de l’Éducation nationale et du ministère des Armées. Rassemblées officiellement depuis mars 2016 sous le nom de Réseau des lieux de mémoire de la Shoah en France, ce sont aujourd’hui treize institutions qui s’associent pour cette démarche inédite qui valorise l’engagement des nouvelles générations dans un dispositif appelé « les Ambassadeurs de la mémoire ». Le Réseau des lieux de mémoire de la Shoah propose également des séminaires de formation et des réflexions communes, notamment sur le devenir des commémorations. En janvier 2023 se déroulera à Paris la cinquième rencontre nationale des Ambassadeurs de la mémoire, poursuivant ainsi l’œuvre engagée en faveur de la transmission et d’une citoyenneté active.

Les treize institutions membres du Réseau des lieux de mémoire de la Shoah en France sont : L’Amicale du camp de Gurs ; Le CERCIL – Musée Mémorial des enfants du Vél’ d’Hiv ; Le Centre européen du résistant déporté – site de l’ancien camp de concentration Natzweiler-Struthof (Ministère des Armées, ONAC-VG) ; Le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon ; La Fondation du camp des Milles ; Le Lieu de Mémoire au Chambon-sur-Lignon ; La Maison d’Izieu – Mémorial des enfants juifs exterminés ; Le Mémorial de la Shoah ; Le Mémorial de l’internement et de la déportation – Camp de Royallieu ; Le Mémorial des martyrs de la Déportation (Ministère des Armées, ONAC-VG) ; Le Mémorial du camp de Rivesaltes ; Le Mémorial national de la prison de Montluc (Ministère des Armées, ONAC-VG) ; Le Mont-Valérien (Ministère des Armées, ONAC-VG).

Le Réseau bénéficie du soutien du Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la Haine anti-LGBT, de la Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives du Ministère des Armées, de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, de l’Œuvre du Bleuet de France et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

Plus d’informations sur le site du Mémorial de la Shoah.

Voir le site des Ambassadeurs de la mémoire.

  • Élie Papiernik
  • Philippe Apeloig

Un monument Éclaté

 

Dans Enfants de Paris 1939-1945, un livre somptueux, l’artiste Philippe Apeloig a réuni un millier de photos des plaques posées sur les murs de la capitale pour rappeler la mémoire des victimes de la guerre.
En parcourant ce volume aussi épais que subtil, on découvre des couleurs, des formes, des styles, et des textes singuliers, chacun portant la marque de ceux qui ont voulu que cette mémoire dure. Le directeur artistique de Tenou’a, Élie Papiernik, a rencontré l’auteur.

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