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Mémoires du 17e arrondissement

Quand un tailleur rencontre un autre tailleur, qu’est-ce qu’ils se racontent? Et bien, ils parlent fort, pour le plus grand régal de la petite fille qui observe, pleine de malice, cette rencontre entre un monde de l’est et un monde du sud.

© Franck Juery www.franckjuery.com

Je faisais mes devoirs sur la machine à coudre de mon père, Itshèlè. C’était un aristocrate de la couture, tailleur sur mesure pour hommes et pour dames.
Ma mère l’aidait, elle était chargée des finitions. Ils parlaient beaucoup, en yiddish évidemment, et en même temps ils écoutaient la radio. Les fluctuations politiques intéressaient beaucoup mon père. Souvent, quand on descendait du petit appartement qui se trouvait juste au-dessus de la boutique, il nous annonçait en rigolant: « Lè cabinet il est ronversé! » Ça l’amusait beaucoup, cette histoire de cabinet renversé, et nous aussi d’ailleurs; Il était curieux de tout, parlait à tout le monde, bavard, badaud, très parisien, à part l’accent. Il aimait les phrases définitives du genre: « Les ouvriers, qu’est-ce qu’ils vèlent? A frigidè i a votire! I c’est tout! » C’était comme ça qu’il résumait la lutte des classes. Quand on ramenait des copains à la maison, il avait toujours le mot pour rire « Abajour moshédames. Quand Pierrot il est là lè gâtou i s’on va. » 

Chaque jour, comme au café du coin, des habi- tués s’arrêtaient dans la boutique pour bavarder un moment. Il y avait Mme Léveillé et sa chienne Friquette.

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