Après les résultats du 1er tour des législatives, qui voient une large avance de l’extrême droite et une union de gauche en challenger, petit tour de ce que disent les Juifs dans le monde et les Israéliens de ces résultats et des sombres perspectives qu’ils ouvrent.
En passant, tous les médias juifs internationaux commencent par tenter d’expliquer le système électoral français, les scrutins à deux tours, la dissolution, la Ve République, et ce n’est pas si simple pour qui n’est pas tombé dans la marmite enfant.
C’est Robert Zaretsky qui débute, dans The Forward, sous le titre “Une victoire sans précédent pour un parti historiquement antisémite en France, et maintenant le monde retient son souffle”. “Au cours des six derniers mois en France, aucun adjectif n’a été autant utilisé que « inédit », écrit-il. La hausse explosive du nombre d’incidents antisémites à travers la France depuis octobre dernier ? Inédit. La montée en flèche du parti de Le Pen dans les sondages depuis le début de l’année ? Inédit. La décision du président Emmanuel Macron le 9 juin, après la performance catastrophique de son parti aux élections européennes, de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer de nouvelles élections ? Inédit. La formation du jour au lendemain des quatre partis de gauche en une coalition appelée le Nouveau Front Populaire ? Inédit.” Évoquant le Nouveau Front populaire et sa figure emblématique, Jean-Luc Mélenchon, Zaretsky écrit: “Les autres partis, ainsi que les membres de son propre parti, ont clairement indiqué que Mélenchon ne sera pas leur Premier ministre. De plus, le parti, contrairement au Rassemblement National, embrasse les idéaux égalitaires et démocratiques de la révolution et de la république. Le Nouveau Front Populaire, engagé à maintenir un « rempart républicain », a déjà annoncé que ses candidats qui ont terminé troisièmes dans ces circonscriptions se retireront et soutiendront un candidat de la Renaissance. Cependant, Macron a de nouveau échoué à être à la hauteur de la crise existentielle qu’il a contribué à créer. Ayant insisté au cours des derniers mois que le Rassemblement National et La France Insoumise sont deux aspects d’un même anti-républicanisme, Macron est soit incapable soit réticent à changer son discours.”
Macron qui préoccupe décidément les correspondants Juifs de par le monde, comme Canaan Lidor, dans The Times of Israel: “Il y a seulement deux ans, le président français Emmanuel Macron recevait le soutien inconditionnel des principaux groupes communautaires juifs, qui considéraient ses politiques centristes et son parti comme le meilleur rempart contre le radicalisme politique. Mais maintenant, de nombreux Juifs français se sentent trahis par Macron”, explique-t-il. “Pendant ce temps, l’extrême gauche sous Jean-Luc Mélenchon a placé la cause palestinienne en tête de son programme : l’une des figures les plus en vue du parti, Rima Hassan, est une avocate franco-palestinienne qui a qualifié l’attaque du 7 octobre de Hamas d' »action légitime ». Hassan, qui n’était pas candidate, se tenait à côté de Mélenchon lors de son discours de clôture du premier tour. Elle portait un keffieh, que beaucoup d’observateurs ont interprété comme un signal aux électeurs musulmans que le parti de Mélenchon était leur foyer politique.”
Côté Jerusalem Post, Michael Starr donne, dans un article tristement titré « Il n’y a pas d’avenir pour les Juifs en France« , la parole au rabbin parisien Moshe Sebbag dans un propos très pro-aliyah: “ »Il est clair aujourd’hui qu’il n’y a pas d’avenir pour les Juifs en France. […] Je dis à tous les jeunes d’aller en Israël ou dans un pays plus sûr. » Starr note que “Les groupes juifs ont appelé les Juifs français à voter pour le Centre, qui a été favorable à Israël, mais sous leurs dirigeants, le problème de l’antisémitisme a proliféré.”
Et Sebbag de conclure: « Beaucoup de familles juives ashkénazes présentes ici depuis avant la Seconde Guerre mondiale ne pouvaient pas penser à voter pour le Rassemblement National, mais la gauche a été antisémite ces derniers temps. […] Les Juifs sont au milieu parce qu’ils ne savent pas qui les déteste le plus. »”
Toujours dans le Jerusalem Post, Herb Keinon s’agace franchement de l’interventionnisme du ministre israélien de la Diaspora, Amichai Shikli, dans cette élection, qui s’enthousiasmait de la probable accession à la présidence de Marine Le Pen: “Peut-être, cependant, aurait-il fallu poser une autre question à Shikli : est-il sage pour un ministre israélien de peser si catégoriquement sur la politique interne d’un autre pays ?”. Et Keinon utilise une fable hassidique pour décrire la situation: “Il y a un vieux conte hassidique à propos d’un Juif contraint par un noble puissant à manger du porc. Cherchant conseil, il alla voir son rabbin qui, comprenant la situation désespérée, dit : « Mange le porc, mais ne laisse pas la graisse couler sur ta barbe. » En d’autres termes, si vous devez manger de la nourriture impure, soit, mais ne prenez pas de plaisir à le faire. Le parti de Le Pen a longtemps été considéré comme impur par la communauté juive française et Israël, avec ses racines dans le Front National antisémite et négationniste de la Shoah de son père, Jean-Marie Le Pen. La jeune Le Pen a purgé son père et d’autres antisémites et négationnistes de la Shoah du parti et, pendant des années, a tenté de distancier le parti de son passé moins reluisant et de se mettre en grâce auprès de la communauté juive et d’Israël, car cela donnerait au parti, autrefois considéré comme infréquentable, un degré de légitimité.”
Yedihot Aharonot note que “la drague actuelle de « l’Union nationale » auprès des Juifs ne découle pas de ses convictions sincères, mais est seulement une tentative de repousser les accusations de racisme contre le parti, en raison de son opposition farouche à l’immigration des musulmans et d’autres étrangers en France.”
Dans The Jewish Press, David Israel remarque que, si les “déclarations [de Jordan Bardella] sur la viande kasher ont suscité des craintes dans la communauté juive de France”, “Marine Le Pen s’est décrite comme la candidate la plus apte « à protéger efficacement les personnes de religion juive en France », qui sont victimes d’actes antisémites « de plus en plus nombreux ».”
Un ami et habitué des colonnes de Tenou’a, Sefy Hendler, livre pour Haaretz une analyse au titre cinglant, “Les élections les plus cruciales de la France depuis la Seconde Guerre mondiale : les Juifs français sont des orphelins politiques dans un affrontement entre la droite et la gauche extrêmes”. Hendler remarque que le bloc d’extrême droite “joue à cache-cache avec les électeurs, dans le cadre d’une stratégie qui a jusqu’à présent porté ses fruits” et que Bardella “est aussi creux qu’un pot, et pourtant il se débrouille bien à l’écran (et sur TikTok). Bardella est devenu le candidat pour les premiers ministres après que le parti a changé son nom de Front National et a évincé Le Pen (et son père) de son leadership”. Hendler poursuit: “Tous ces édulcorants artificiels sont censés permettre aux citoyens français ordinaires, qui sont en colère […], de voter pour la nouvelle droite nationaliste. Mais la nouvelle droite reste, et pas uniquement à la périphérie, l’héritière du courant politique le plus infâme de l’histoire moderne de la France.” Que reste-t-il aux Juifs de France? “La communauté juive française se trouve au milieu de ce désordre politique, qui risque de s’aggraver lorsque les résultats seront connus dimanche soir et dans une semaine. Le pays a subi une vague d’antisémitisme depuis le 7 octobre […] Pris entre l’extrême gauche, marquée par une haine pathologique pour le sionisme, et l’extrême droite, qui reluque le président russe Vladimir Poutine, le choix est sans aucun doute dangereux et cause du désespoir. Les Juifs ont été et restent le baromètre le plus sensible aux changements dangereux sur la carte politique de l’Europe”, conclut l’universitaire.
Dans The Jewish Chronicle, Rosa Doherty et Hannah Gillott s’intéressent au phénomène d’émigration juive qui pourrait suivre cette élection dans un article titré “Les Juifs pris entre l’extrême gauche et l’extrême droite lors des élections françaises”: “Le parti d’extrême droite est sur le point de remporter la plus grande part de voix de son histoire, et pourrait même remporter une majorité de sièges à l’Assemblée nationale française. Selon des experts, cela pourrait signifier « un pas en avant supplémentaire » dans une vague d’immigration des Juifs de France vers Israël.” Si elles remarquent que “Le Rassemblement National adopte une position forte en faveur d’Israël, attirant certains électeurs juifs. Dans le cadre de son plan pour détoxifier l’image de son parti, Marine Le Pen a même rejoint des manifestants à Paris en novembre, qui marchaient contre l’antisémitisme”, il n’en reste pas moins que “Pour de nombreux Juifs, cependant, le Rassemblement National est un parti qu’ils ne peuvent pas soutenir”. Et de rapporter que, “Faisant référence au choix entre l’extrême gauche et l’extrême droite, un électeur juif a déclaré à Reuters : « J’ai l’impression d’être pris entre la peste et le choléra. »”
Gravement, dans le Jüdische Allgemeine, Michael Thaidigsmann note que “Ce serait la première fois depuis le régime de Vichy toléré par l’Allemagne hitlérienne dans les années quarante que l’extrême droite accéderait aux leviers du pouvoir en France. Le mouvement fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, le père de Marine, sous le nom de Front National, n’est pas seulement anti-européen et pro-Poutine. Il compte encore – malgré les efforts de la direction pour se débarrasser de cette image – de nombreux antisémites dans ses rangs”. Après avoir rappelé les nombreux dérapages antisémites et négationnistes de Le Pen père, Thaidigsmann remarque aussi que, “Le soir des élections, Rima Hassan, enveloppée d’un keffieh, se tenait aux côtés de Mélenchon. Hassan avait dominé la campagne européenne de LFI avec ses tirades contre Israël et ses sympathies pour les objectifs du Hamas, et elle a été élue au Parlement de Strasbourg en septième position sur la liste de LFI. Elle est la nouvelle star du parti.” Et de conclure tristement: “On peut déjà conclure maintenant : dans la prochaine Assemblée nationale, les forces nationalistes, anti-européennes et pro-Poutine auront une nette majorité. Le barrage a cédé, le mur de protection s’est effondré. Emmanuel Macron a fourni la boule de démolition.”