Revue de presse: Syrie et Israël, plongée dans l’inconnu

Tout est allé très vite. Par une offensive armée éclair, le mouvement Hayat Tahrir al-Sham (HTS), mené par le djihadiste Ahmed Hussein al-Chara a fait chuter le régime des Assad, vieux de 54 ans, en une dizaine de jours seulement.

Allié de l’Iran des mollahs et du Hezbollah, le régime syrien qui avait résisté à 13 ans de guerre civile au prix de 500.000 morts entraîne dans sa chute un Hezbollah déjà affaibli et un Iran aux abois. Si la fin des Assad est globalement perçue comme une bonne nouvelle, et d’abord pour les Syriens eux-mêmes, elle ne va pas sans interrogations et inquiétudes quant aux autorités qui se mettent en place aujourd’hui.

Depuis le 7 octobre 2023, la Syrie s’était tenue relativement en retrait du conflit entre Israël et le Hamas, tout en laissant les Gardiens de la révolution iraniens et le Hezbollah opérer depuis son sol. Que vont faire les nouvelles autorités syriennes? Revue de presse.

C’est d’abord Hugo Micheron qui, dans Libération, nous rappelle le pedigree d’Abu Mohammed al-Golani [ou al-Joulani selon les translittérations] qui a repris son nom civil d’Ahmed Hussein al-Chara en même temps qu’il prenait Damas et dont la tête est toujours mise à prix par les États-Unis pour 10 millions de dollars: “Il est entré dans le jihad en Irak en 2003. Il a ensuite passé beaucoup de temps dans les prisons américaines, notamment Abou Ghraib, où il a fréquenté le futur état-major de Daech. Alors chef de l’Etat islamique d’Irak, Abou Bakr al-Baghdadi l’envoie en Syrie, en 2011, avec pour lettre de mission de ‘jihadiser’ la rébellion”.

Dans Marianne, David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès, explique: “Les Israéliens se méfient de HTS comme de la peste et ne croient pas à la mue de al-Joulani, qu’ils accusent de mener une opération de communication à l’adresse de l’Occident. Pour les Israéliens, il reste un fondamentaliste, un islamiste radical, qui a très bien compris la réalité des rapports de force régionaux et internationaux. (…) Les Israéliens vont donc surveiller comme le lait sur le feu HTS et la stratégie de al-Joulani, notamment à l’égard du Hamas. Après le 7 octobre, il s’était félicité des massacres et avait dit s’inspirer de méthodes de l’organisation terroriste. Avec un pédigrée de la sorte, aucune confiance ne peut lui être accordée”.

L’Orient-Le Jour nous rappelle que, si HTS est la principale force rebelle présente en Syrie, les acteurs y sont très nombreux, à commencer par les milices druzes “qui se sont emparés des provinces de Deraa de Qoneïtra et de Soueïda, avant de se diriger vers Damas”. Sur le sol syrien, on trouve aussi l’armée turque qui “occupe depuis 2016, avec les forces pro-turques de l’Armée nationale syrienne, coalition de groupes islamistes sunnites, une large bande de terre discontinue le long de la frontière turque, abritant 1,5 million de personnes” avec un but: “voir reculer à terme au-delà de la rive Est de l’Euphrate, les forces kurdes syriennes, perçues comme une branche du PKK turc”. Dans le Nord-Est du pays, où se trouvent aussi 900 militaires américains, c’est la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes qui domine après avoir combattu autant le régime que Daesh ou les Turcs. Et l’OLJ rappelle que “Si le continuum territorial de l’EI a été défait en 2019, des poches du groupe jihadiste demeurent dans certaines régions désertiques du centre et de l’est de la Syrie”.
De son côté, l’armée israélienne, “présente sur une grande partie du Golan, dans le sud-ouest de la Syrie, depuis la guerre israélo-arabe de 1967” a pris le contrôle de toute la région et son ministre de la Défense, Israël Katz, a averti Tsahal de “se préparer à rester de longs mois sur le Mont Hermon” et de créer dans la zone démilitarisée du Golan établie en 1974 après la guerre de Kippour une zone libre de tout “armement hautement stratégique et infrastructure terroriste”, rappellent Haaretz et The Jewish Chronicle.
Last but not least, explique l’OLJ: “Dans la région alaouite, sur la bande côtière de l’Ouest syrien, la Russie dispose de ses deux principales bases militaires en Syrie” sur un total de 21 bases militaires et 93 postes d’observation (voir la carte des forces en présence réalisée par l’OLJ).

L’analyste de Haaretz Zvi Bar’el insiste: “L’ironie ne s’arrête pas là. L’Iran et la Russie, qui contrôlaient en fait de vastes régions de la Syrie, sont désormais remplacés par deux nouveaux-anciens occupants : Israël et la Turquie. L’un a pris possession du ‘Hermon syrien’ et, un peu plus loin, l’autre achève l’occupation des régions kurdes du nord de la Syrie”. Il s’explique: le monde arabe s’apprête  à soutenir al-Chara, “partant du principe que tout dirigeant serait meilleur qu’Assad. C’est, soit dit en passant, ce que les Syriens croyaient également d’Assad père lorsqu’il a renversé le régime du général Salah Jedid, pour finalement se retrouver avec un nouveau massacre à grande échelle”. 

Toujours dans Haaretz, on sent cette méfiance, même chez une source issue de l’opposition islamiste: “On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils [le mouvement HTS] accomplissent le travail, puis déposent leurs armes et s’éclipsent à un stade aussi précoce”.

C’est encore l’OLJ qui nous relate que le Premier ministre chargé de la transition en Syrie, Mohammad el-Bachir, a reconnu “le comportement erroné de certains groupes islamistes” avant d’ajouter que “c’est précisément parce que nous sommes islamiques que nous garantirons les droits de tous les peuples et de toutes les confessions en Syrie”.

Le même al-Bachir,  à qui le journaliste italien du Corriere della Serra Andrea Nicastro demande: “Ai-je bien compris en disant que vous êtes prêt à faire la paix avec Israël et que vous êtes hostile à l’Iran, au Hezbollah et à la Russie?”. Al-Bachir ne répond pas, remercie le journaliste et quitte la pièce.

Dans le dernier épisode de Haaretz Podcast, le rédacteur en chef de New Lines Magazine, syrien d’origine, Hassan Hassan explique: “Je soupçonne qu’ils enverront probablement des signaux à Israël, directement ou indirectement, pour indiquer qu’ils ne souhaitent pas provoquer d’escalade de ce côté-là”. Et dans le même épisode, le journaliste Amos Harel qui dit ne pas croire au discours soi-disant modéré des nouveaux leaders syriens ajoute: “La question est de savoir si combattre Israël est une priorité absolue pour cette nouvelle alliance; je ne le pense pas. Mais est-ce le début d’une ère merveilleuse entre Israël et la Syrie? J’en doute sérieusement”.

Dans l’édition française de Times of Israel, nous lisons: “La première raison du succès de l’offensive rebelle et de l’effondrement des forces du régime est l’efficacité des opérations militaires menées par Israël contre le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah et l’Iran depuis le 8 octobre 2023”. Ce que constate également l’éditorialiste Dan Perry dans The Forward, tout en s’interrogeant: “Israël a accidentellement contribué à déclencher un changement de régime en Syrie – et maintenant?”. Il avertit: “Israël se trouve désormais à un tournant critique. Ses succès contre les proxys régionaux de l’Iran ont remodelé l’équilibre régional, mais ils ne doivent pas être salués comme un succès incontestable: ce sont des victoires qui ont engendré de nouveaux risques graves. Pour tirer des bénéfices durables de ce moment de bouleversement, Israël doit agir de manière décisive pour stabiliser Gaza, adresser la question palestinienne et forger un nouvel ordre régional aux côtés des États arabes sunnites”.
On retrouve le même constat inquiet sous la plume de Jean-Philippe Rémy, correspondant du Monde à Jérusalem: “Le régime de Bachar Al-Assad, affaibli, présentait des avantages pour Israël, permettant à l’État hébreu d’y intervenir pour des frappes aériennes contre des intérêts, des personnes ou des installations militaires du Hezbollah, de l’Iran ou de leurs alliés au sein des milices chiites, avec une liberté d’action presque complète. À cet ennemi faible, mais utile, succède à présent une plongée dans l’inconnu”.

  • Natacha Chetcuti-Osorovitz

“Le mot même d’antisémitisme devient impossible à prononcer”

Dimanche 8 décembre, Beit Haverim, l’association juive LGBTQ+, a organisé une conférence autour de “la place des personnes juives dans les espaces LGBTQ+”. Comment peuvent-elles trouver leur place dans la lutte contre l’antisémitisme et les LGBTphobies? Natacha Chetcuti-Osorovitz, chercheuse, Jonas Pardo, formateur antiraciste, Audrey Msellati, avocate, Eva Vocz, performeuse, James Leperlier, président de l’Inter-LGBT, ont partagé leurs recherches, leurs constats et leurs témoignages. Retour sur cet événement à travers l’interview de Natacha Chetcuti-Osorovitz, sociologue et maître de conférences.

 

7 min. de lecture