
« – Aretha Franklin: Y’a deux blancs-becs qui sont dans le resto, habillés comme des diamantaires hassidiques.
– Matt Murphy : Qu’est-ce que tu dis ?
– Aretha: Ou un look du genre espion.
– Matt: Ils veulent manger quoi ?
– Aretha: Le grand veut du pain toasté, sec, avec rien dessus.
– Matt: Elwood !
– Aretha: Et l’autre veut quatre poulets rôtis entiers et un coca.
– Matt: Jake ! Waow, ce sont les Blues Brothers !
Matt reconnaît les personnages décrits par Aretha, qui a pris les commandes dans le restaurant, selon leur look et leur choix culinaire. Il s’agit des hassidim les plus connus, du moins les plus cools au monde: les Blues Brothers. Cette scène est issue du film de John Landis (1980) portant leur nom, lequel jouit d’un casting qui constituerait un Consistoire idéal: John Belushi, Dan Aykroyd, Aretha Franklin, James Brown, Ray Charles, Cab Calloway, John Lee Hooker…
Dans l’imaginaire collectif, le look des Français de culture juive est souvent limité aux chemises fluo du Sentier ou, à l’inverse, aux austères redingotes. Sinon, les 90 % d’autres Juifs non habillés par les couturiers de la rue d’Aboukir et de la rue des Rosiers ont, il faut le reconnaître, lancé peu de modes. Les lunettes de soleil étant peut-être cet objet d’exception auquel différents artistes juifs donnèrent leurs lettres de noblesse. Parmi lesquels Jean-Pierre Melville, Michel Polnareff et Serge Gainsbourg. Mais Alain Delon et Jacques Dutronc pourraient légitimement partager cette influence.
De l’autre côté de l’Atlantique, on a plutôt l’embarras du choix au niveau des références vestimentaires. À tel point que ce foisonnement rend impossible la définition du style juif en Amérique. Il suffit de voir les différentes tenues et comportements au sein d’une même fratrie, qu’elle se nomme Marx, Ramone ou Silverman.
Cette dernière comporte deux célèbres sœurs: Sarah l’humoriste hédoniste et Susan le rabbin, une des dirigeantes du mouvement des Femmes du Mur. Tandis que la première se déshabillait pour appeler à soutenir la campagne de Barack Obama, la seconde fait campagne pour que les hommes n’aient plus le monopole des habits de prière juifs.
À vrai dire, les Juifs américains mènent une lutte intense depuis un demi-siècle: celle de s’affranchir du look du petit shtetl dans la prairie de Tunis ou de Cracovie. L’épicentre de cette lutte se situe au milieu des années soixante-dix. Pour relever un tel défi, il fallait une contre-référence absolue. La série télé de Michaël Landon, alias Charles Ingalls, se déroulant à Walnut Grove en est la meilleure incarnation. Paradoxe amusant puisque ce missionnaire du look old school était un juif libéral. Quant à Laura Ingalls (Melissa Gilbert) avec ses couettes, n’en parlons pas…
À la même époque que l’odyssée Ingalls (diffusée entre 1974 et 1983), deux autres sitcoms sauvèrent la mise concernant la représentation populaire. Avec des personnages cultes, aujourd’hui encore. Tout d’abord, le détective Starsky (interprété par Paul Michael Glaser), l’acolyte de Hutch (David Soul), avec sa coupe afro, son pull blanc, ses baskets bleues et son street talk (1975- 1979). Glaser s’était, ironie du sort, fait connaître dans le film Un violon sur le toit (1971), le préquel de La petite maison dans la prairie, à la sauce goulash.
Mieux encore, une veste en cuir et un peigne non utilisé devant un miroir, sont devenus les représentations ultimes du cool. Pas seulement pour les Juifs, mais pour des générations d’Américains et d’autres Terriens. Oui, il s’agit de l’attirail d’Arthur « Fonzie » Fonzarelli, moins connu sous le nom de Henry Winkler, star de la série Happy Days (1974-1984). Un héros qui sauve la mise à ses amis Ritchie, Ralph, Potsie et Joanie. Des personnages proches de ceux de La Petite maison dans la prairie, bien que Potsie ait un nom yiddish se référant à un petit animal. Dans la construction de « Fonzie », Henry Winkler s’est inspiré d’un personnage interprété par Sylvester Stallone dans le film qui les révéla au grand public : The Lords of Flatbush (1974). Winkler y joua un gars sensible, aimant dessiner dans le calme d’un café déserté, tandis que Stallone incarnait le dur à cuire de la bande mais finalement capable, lui aussi, de gestes attendrissants.
Le look tough et le comportement qui va avec furent la caractéristique des artistes juifs de la fin des années quatre-vingt et dans les années quatre-vingt-dix. Plus encore que le modèle Ingalls, ils fuyaient le stéréotype Woody. Qu’il s’agisse des Beastie Boys, trois petits juifs de New York qui contribuèrent à la popularisation nationale du rap, hissant pour la première fois un album de cette musique en haut des charts en 1987. Ou bien Adam Sandler, démolissant le woodysme avalé dans son fauteuil d’analyse perpétuelle, comme un joueur de hockey malmenant une balle de golf en étant coaché par Apollo Creed dans Happy Gilmore (1996). Et enfin, dans cette génération, le king of cool Lenny Kravitz, prophète du règne de l’amour.
Il arrive parfois que la recherche absolue d’un costume si loin de ceux de votre enfance vous joue des tours. Demandez à Gene Simmons. Le leader de deux mètres du groupe Kiss, maquillé en diable et à la langue bien pendue, a pour vrai nom Haïm Witz. Né à Haïfa, il émigra aux États-Unis avec sa mère. Lors de sa première télé, au Mike Douglas Show en 1974, il est assis à côté de Totie Fields, une humoriste juive très représentative de la génération de ses parents. Il tente de lui faire peur et déclare: « Je suis le diable! » À quoi, elle répond: « Mais non, je suis sûre que sous tout cet attirail, tu es un bon petit juif de Brooklyn! » Quelques années plus tard, en pleine interview avec un journaliste, la mère du chanteur interrompt le dialogue et l’effet de son personnage en entrant brusquement dans le bureau et en disant avec son accent yiddish: « Haïm, toi et ton ami, vous voulez un bon sandwich ? »
Vous remarquerez que les femmes sont peu présentes dans ces exemples. Car il n’y a pas que dans certains cercles religieux que la représentation des femmes juives est « modeste ». Le film Yentl (1983) de Barbra Streisand a brisé bien plus de clichés sur leur apparence et leur vocation qu’on l’imagine. Ce qu’a accompli l’immense Ronit Elkabetz en Israël, à travers son œuvre et son engagement. Car en dehors des images de mère juive ou de maîtresses fantasmées comme Lauren Bacall, l’incarnation de la femme a été, avant Barbra et Ronit, assez limitée.
C’est le grand mérite de la nouvelle génération d’actrices et de personnages juifs d’avoir diversifié et normalisé ces incarnations. Natalie Portman, Scarlett Johansson, Mila Kunis, Lisa Bonet, Gwyneth Paltrow, Zoë Kravitz… s’affirment intellectuellement, émotionnellement et physiquement sans crainte de jugement. Elles prennent leur vie en mains. Ce ne sont pas des femmes qui subissent le regard des hommes sur ce qu’elles devraient porter, dire ou faire au nom du shalom baït. Des hommes à l’image du personnage de Noodles, incarné par Robert de Niro dans Il était une fois en Amérique (1983) qui regarde par un trou dans le mur Jennifer Connelly danser puis se déshabiller. Avec toute l’hypocrisie des hommes en général qui bavent devant une belle femme qui se met à nu face à leurs yeux non autorisés mais corrigeraient leurs femmes si elles en faisaient autant. L’incarnation de la femme juive contemporaine est donc une apparence naïve qui cache un hédonisme laissant sur le bord de la route les amants fatigués dès le fantasme accompli.
En parlant de fantasme, comment ne pas céder à l’évidence en voyant les ébats entre Rachel Weisz et Rachel McAdams incarnant des femmes orthodoxes amoureuses l’une de l’autre dans le film Désobéissance (2018). Et c’est à ce moment-là qu’on se dit que Jacob a eu tort, qu’il vaut mieux ne pas choisir entre Léa et Rachel mais unir Rachel et Rachel. À condition, cher lecteur éventuellement masculin, que vous acceptiez aussi, de manière égalitaire, d’être un des amants partagés d’une femme. Peut-être une incarnation de personnage que vous allez définir maintenant en posant le magazine et en éteignant la lumière…