Artisans de la Mémoire

Ce numéro de Tenou’a est une reconnaissance de dettes envers ceux, passés ou présents, qui ont travaillé et lutté pour que la mémoire de six millions de Juifs assassinés par les Nazis ne s’efface pas. Il ne présente que quelques figures emblématiques ou représentatives de ces combats. Nous aurions pu en faire un livre de mille pages tant sont nombreux ceux qui méritent notre reconnaissance. À ceux qui ne sont pas présents dans ces pages, soyez assurés que nous vous portons dans nos cœurs et notre plus haute estime.

Ils ont fait de la mémoire de la Shoah une mission, parfois dans la discrétion, parfois avec une reconnaissance tardive, voire posthume. Ils se sont réunis clandestinement pour commencer à réunir des informations et des documents en pleine guerre et entreprise génocidaire nazie. Ils ont fouillé, découvert, analysé, publié, blogué des documents qui nous montrent la complexité et l’immensité des recherches sur la Shoah : un nom de déporté, une spoliation, une filière de passage clandestin, une dénonciation. Une enquête individuelle ou régionale. Des archives éclusées en France et parfois ailleurs. Un militantisme de terrain, une mission religieuse, un combat politique, un engagement familial, parfois un peu de tout.
C’est ainsi que le rabbin et industriel Isaac Schneersohn co-fonde clandestinement, avec Léon Poliakov, le Centre de Documentation Juive Contem –

C’est ainsi que le rabbin et industriel Isaac Schneersohn co-fonde clandestinement, avec Léon Poliakov, le Centre de Documentation Juive Contemporaine à Grenoble en 1943. D’autres reviennent des camps et établissent des associations d’anciens déportés dont la mission est à la fois commémorative, pédagogique, sociale et politique : Henri Bulawko et Raphaël Esrail, présidents consécutifs de l’Union des Déportés d’Auschwitz, Bertrand Herz, président du Comité international BuchenwaldDora et Kommandos, Georges Wellers, président de l’Association pour la Fondation Mémoire d’Auschwitz, ou Samuel Pisar, cofondateur de Yad Vashem France et administrateur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Il y a eu les témoins qui ont parlé aux procès de Nazis et de leurs collaborateurs, en particulier le témoignage bouleversant de Simone Lagrange au procès Barbie. Les témoins qui ont pris leur bâton de pèlerin pour parler dans les lycées et autres lieux de culture et d’éducation, inlassablement, dans un partage généreux de leur parcours personnel.

MILITANTS

Il y a ceux qui ont permis d’établir des institutions de mémoire et de recherche, comme Richard Prasquier et le musée d’Auschwitz ou Sabin Zlatin et la Maison d’Izieu. À leur suite, il y a ceux qui dirigent aujourd’hui ces lieux de mémoire et qui développent leur mission pédagogique pour servir un public toujours plus nombreux et diversifié, à Rivesaltes, à Drancy, aux Milles et aux nombreux petits mémoriaux dans la France entière, de la Loire à l’Alsace en passant par la Savoie et la Normandie. Au sein de ces musées et mémoriaux, n’oublions pas les services pédagogiques, médiateurs culturels et guides qui sont le maillon essentiel entre mémoire et public.

CHERCHEURS

Il y a les bien sûr les universitaires – historiens, philosophes, sociologues, anthropologues ou émanant d’autres disciplines – parfois membres de conseils scientifiques, ou des chercheurs indépendants travaillant sur un terrain local. Il y a ceux qui ont publié très tôt, comme Léon Poliakov et son Bréviaire de la Haine, l’un des premiers livres d’histoire sur le projet d’extermination des Juifs ou comme Anne Grynberg, Denis Peschanski ou Henry Rousso, qui sont parmi les pionniers de la recherche sur la Shoah en France. Et ceux, comme Régine Azria, qui ont documenté avec patience et bienveillance les commémorations et les combats des militants de la mémoire.

PÉDAGOGUES

Il y a les enseignants dont l’œuvre de transmission est non seulement une vocation mais aussi un acte militant. À l’heure où les derniers témoins disparaissent, c’est à la fois aux enfants et petits-enfants de survivants, d’enfants cachés et d’autres témoins, d’une part, et aux enseignants, guides, et transmetteurs de connaissances d’autre part, de maintenir et de nourrir la mémoire de la Shoah, dans un véritable et indispensable partenariat.