Les fantômes de la synagogue de Toul 

© Lucie Spindler/Tenou’a

“Peut-on dialoguer avec les fantômes du passé ?” – c’était le thème de la conférence donnée par Delphine Horvilleur dimanche 4 février à Toul. Tenou’a l’a accompagnée dans cette petite ville de Lorraine – où ses grands-parents se sont mariés après la guerre, en 1946. La synagogue de Toul, où aucune cérémonie religieuse ne s’est tenue depuis 1965, renaît aujourd’hui grâce au dialogue interreligieux et à une mobilisation de la population locale. 

© Lucie Spindler/Tenou’a

Elle incarne la dernière trace visible d’une existence juive à Toul. Si les murs de la synagogue de cette petite ville de Lorraine pouvaient parler, ils raconteraient une histoire d’émancipation, de transmission, mais aussi d’exils. Une histoire marquée par la Révolution et le lien indéfectible avec la France. En 1791, lorsque l’Assemblée constituante accorde la citoyenneté aux Juifs, c’est le début d’une existence libre et entière pour cette petite communauté, bien qu’une première présence juive y ait été identifiée dès le Moyen Âge. Après la Révolution française, la vie juive se dynamise avec l’arrivée d’enseignants, l’édification d’un cimetière et d’un lieu de culte en 1862. Au milieu du siècle, les Juifs représentent plus de 8% de la population locale. Ce sont principalement des marchands de bestiaux, de vêtements ou encore des épiciers. Mais la fin du XIXe siècle marque l’arrêt de cette expansion : peu à peu la communauté juive décline, avec des départs vers Nancy ou Paris. La dernière bar mitsva, celle d’un oncle de Delphine Horvilleur, est célébrée en 1965. Depuis, les lumières de la synagogue se sont éteintes. 

© Lucie Spindler/Tenou’a

Le dialogue interreligieux au coeur du projet de rénovation

En 2024, le constat est amer : il ne reste plus que trois juifs à Toul. Jean-Pol Marx est l’un d’entre eux. Président de la communauté juive pendant quarante ans, il se bat pour faire revivre ce monument. Et il peut compter sur une aide précieuse, celle des Catholiques de la ville. L’association de sauvegarde de la synagogue, créée à l’automne 2022, est dirigée par Philippe Hanus, un Catholique pratiquant (voir son interview en bas de cette page). Pour lui, c’est “un devoir en tant que croyant et citoyen” que ce bâtiment, “inconnu des Toulois”, retrouve sa place “au cœur de la Cité”. L’association compte aujourd’hui près de 200 adhérents. Son but est essentiellement culturel, plutôt que religieux. À  l’avenir, le groupe voudrait “organiser des expositions, des concerts, éventuellement faire une convention avec la Maison des Jeunes et de la Culture”. Et ses premiers pas sont prometteurs. Un concert a été organisé au mois de juin 2023 dans l’église Saint-Gengoult, suivi d’un apéritif dans les jardins de la synagogue. L’événement a été couronné de succès, preuve que le dialogue interreligieux fonctionne dans cette ville du Grand-Est de 17 000 habitants. 

© Lucie Spindler/Tenou’a

Delphine Horvilleur : “la sauvegarde de ce patrimoine de fantômes” 

À 14h, la cour de l’Hôtel de ville s’emplit de Toulois venus écouter la conférence de Delphine Horvilleur. Les chaises manquent alors quelqu’un propose d’aller en chercher dans la cathédrale avoisinante. Le curé est présent, lui aussi. La salle écoute, prend des notes, pose des questions. Enfant, Delphine Horvilleur a arpenté les rues de la ville : “Être à Toul est un retour au bercail, aux origines. Mon père est né ici. Mes grands-parents se sont mariés dans la synagogue. Elle fait partie des légendes familiales.” Elle évoque la maison de ses arrière-grands-parents, “rue de la Petite-Boucherie” et un stage de deux mois effectué à l’Est républicain, lorsqu’elle projetait une carrière de journaliste avant de devenir rabbin. La synagogue occupe une place particulière, bien au-delà de ses souvenirs intimes : “Je crois qu’il y a quelque chose qui est en jeu dans la sauvegarde de ce patrimoine de fantômes dans nos existences. On le sait, la communauté juive de Toul n’est plus ce qu’elle a pu être dans son histoire en termes de démographie, de perspective, de nombre ou de pratique. Et pourtant, il y a dans la nécessité de ne pas effacer ces traces, quelque chose d’essentiel pour chacun d’entre nous, bien au-delà d’une histoire juive personnelle ou des liens des uns et des autres au judaïsme”.