Après une première série introductive diffusée à l’été 2021, le lab de Tenou’a vous invite à ouvrir à nouveau les portes des pratiques méditatives issues de la tradition juive.
Bienvenue dans “méditer avec la Torah”, saison 2.
Tous les épisodes sont disponibles ci-dessous en vidéo.
Notre guide dans cette aventure intérieure, Mira Neshama Weil, nous propose cette fois d’entrer plus en profondeur dans un univers singulier: celui du maître Hassidique Mena’hem Eckstein de Vienne.
‘Hassid de Zikhov ayant grandi dans l’Europe éclairée du tournant du vingtième siècle, le rav Eckstein eut le temps de publier un seul ouvrage: “Guide pour l’âme vers la Hasidout” (תנאי הנפש להשגת החסידות). Le rav Eckstein périt dans la Shoah.
Publié en 1921 avant qu’il ait atteint l’âge de trente ans, ‘Tnaei ha nefesh’ est un guide de techniques contemplatives de visualisations Hassidiques au quotidien.
Si la notion de visualisation peut sembler ésotérique, le but de ces techniques est, en réalité, très prosaïque:
Le Hassid de Vienne nous propose une véritable rééducation de nos habitudes mentales et émotionnelles, vers une mise en perspective (littérale comme symbolique) de notre place dans le monde et une prise de conscience de notre interconnexion profonde avec tout ce qui est.
Pratiquer régulièrement ce regard renouvelé grâce à la discipline spirituelle des méditations guidées de visualisation qu’il propose permet un réel changement dans notre manière de nous situer dans le monde. Au niveau symbolique, cela permettra une (re)connexion au vrai: à notre âme, aux autres humains, à la nature végétale et animale, et bien sûr, à la source de vie derrière tout cela, le divin.
Car c’est bien à faire Un avec la Source de Vie que vise la mystique juive.
But à la fois sublime et très concret vers lequel nous amènent toutes les sagesses et les psychologies: se libérer de l’ego pour mieux se connecter au monde.
Les méditations de visualisation du Rav Eckstein nous invitent, par l’expérience, à nous détacher de l’illusion de séparation qui crée tant de souffrance, à nous décentrer, et à nous connecter à l’Unité profonde qui préside à toutes choses, et cultiver la compassion par la prise de conscience de la connexion au coeur du vivant.
Au niveau concret de notre expérience quotidienne, ces pratiques entraîneront un véritable processus de tikoun midot (réparation de nos traits de caractère), concept central de la spiritualité juive, vers plus d’empathie avec les autres et avec le vivant, et vers plus d’équanimité (équilibre émotionnel) face aux aléas inévitables de la vie.
Notre bonheur, mais aussi peut être, la possibilité d’un monde plus en paix, sont l’horizon de ces pratiques hassidiques, que nous vous invitons à découvrir ensemble.
Vous êtes prêts ?
1. Le fondement de la Hassidout, ce chemin mystique de travail sur soi qui mène à être Un avec la Source de Vie, n’est autre selon le Rav Eckstein que la connaissance de soi.
Ouvrant son ouvrage sur cette phrase que Socrate n’aurait pas démenti, “Connais toi-toi-même”, le rebbe nous invite à une pratique qui ressemble à la pratique très populaire aujourd’hui, de la pleine conscience (mindfulness) des pensées: s’ancrer dans un niveau de conscience plus profonde que celui de notre quotidien, et nous observer nous-même, afin d’apprendre les “tendances naturelles” qui nous caractérisent. Il s’agit ici d’une forme classique de hitbodedout (auto isolation): se détacher de la symbiose inconsciente avec nos pensées. Ici, comme souvent dans les traditions de la méditation juive, la hitbodedout est le cadre préalable pour la pratique suivante: hitbonenout, contemplation.
— Noter que ces termes, hitbodedout et hitbodedout, font partie du vocabulaire classique de la méditation juive, et que si certains principes de base leur sont communs, leur application dépend de qui les enseigne. Ainsi, la hitbodedout de rabbi Na’hman (la plus connue du grand public) diffère grandement de celle de Rav Eckstein présentée ici.
Le premier principe que la hassidout dit à tous ceux qui veulent s’approcher (devekut) de ses portes ou demande à entrer dans ses chambres intérieures est : “Connais-toi toi-même“.
הכלל הראשון אשר החסידות אומרת לכל המתדפק בשעריה ומבקש להכנס אל חדריה הפנימיים, הוא: ״הכר את עצמך!״
Apprenez à vous voir, élevez-vous afin de voir toutes les tendances naturelles de votre être, et connaissez-les bien.
(…) ״למד לראות את עצמך, להתנשא על כל הנטיות הטבעיות של נפשך ולהכירן היטב ובידו להטותם ולהשתמש בהם כחפצו״
Consacrons chaque jour un temps à nous isoler (lehitboded/hitbodedout), à faire de la place par rapport à nos pensées, et à contempler (lehitbonen). נקדיש לנו בכל יום עת להתבודד, לפנות את מחשבותינו ולהתבונן.
2. Mettre les choses en perspective est l’une des pratiques qui participent le plus au bien être. Ici le rav Eckstein nous invite à le faire littéralement, en visualisant un zooming out afin de contempler (la racine du mot hitbonenout) la planète et ses habitants, afin de nous replacer sur la carte de la Vie et de nous souvenir à la fois notre petitesse, mais aussi de notre place dans le grand tout du monde, et l’interconnection élémentaire e. Ces techniques de visualisation “zoom avant et arrière” sont également, selon le Rebbe, d’excellents moyens d’introduire plus de flexibilité dans notre esprit.
Tout d’abord, nous essayons d’imaginer par nous-mêmes dans notre esprit et notre imagination, la planète Terre.
ראשית־כל נשתדל לצייר לנו בשכלנו ובדמיוננו את כדור־הארץ.
Nous imaginerons dans notre être (âme) comme si nous voyions de loin toute la planète terre, ses terres et ses mers
נדמה בנפשנו כאילו אנו רואים מרחוק את כדור־הארץ כולו על יבשותיו וימיו.
Ensuite, nous nous représenterons tous les peuples qui se trouvent dans chaque partie du monde, selon leur langue, et leurs frontières, et le nombre de personnes de chaque nation et langue. (…)
כן נצייר לנו את כל העמים שבכל חלקי העולם ללשונותיהם ולגבולותיהם, ואת מספר האנשים של כל אומה ולשון
(…) את כל זה נשווה לנגד עיני רוחנו
Et nous allons non seulement imaginer les gens, mais aussi les autres créatures qui sont dans le monde,
C’est à dire tous les animaux et les bêtes (…)
ולא רק את האנשים נצייר לנו, אלא גם את שאר הנבראים הנמצאים בעולם,
היינו את כל הבהמות והחיות
toutes sortes de plantes, céréales, légumes, graminées, fleurs multicolores, jardins, vergers, champs et forêts.
את כל מיני הצמחים, התבואות, הירקות, העשבים, החוחים והפרחים מרובי־הגוונים, הגינות, הפרדסים, השדות והיערות
3. Le travail de prise de perspective que nous propose le rebbe n’est pas que géographique. Il est aussi émotionnel.
Selon lui, il convient chaque matin de prendre un moment pour se replacer sur la carte de notre vie intérieure, et se rappeler quelle est notre tâche (avodah) dans le monde, et quel est son sens. Mais aussi, il s’agit de se souvenir que la journée apportera des événements plaisants et déplaisants, et se préparer à naviguer la mer émotionnelle inhérente à l’existence humaine, afin de mieux savoir gérer ses hauts et ses bas, et cultiver ainsi notre Yishuv ha Daat, l’équilibre émotionnel et la stabilité de la conscience.
Nous retournerons à nous-mêmes et regarderons notre place (dans la vie) :
où nous situons-nous dans le monde et quel est notre oeuvre,
Qu’avons-nous à faire aujourd’hui et que nous apportera la journée -quels événements, quelles joies et quelles irritations.
Dans quelle mesure ces joies et plaisirs ou les irritations, nous affecteront-ils,
Combien de temps leur contrôle sur nous durera-t-il et quand se transformera-t-il et s’arrêtera-t-il.
Nous ferons un ordre approprié et nous nous préparerons face à l’influence et l’action des événements, et après cela, nous irons à notre travail avec sérénité et équanimité.
נשוב לעצמנו ונתבונן במקומנו אנחנו:
היכן אנו בעולם ומה מלאכתנו,
מה עלינו לעשות היום ומה יביא לנו היום,
אילו פעולות ומעשים, אילו שמחות ואילו התרגזויות.
באיזו מידה ישפיעו עלינו אותן השמחות וההנאות
או ההתרגזויות,
עד היכן תימשך שליטתן עלינו ומתי תחלופנה ותפסקנה.
נעשה לנו סדר נכון ונצטייד נגד השפעתם ופעולתם של המאורעות, ואחרי כן נצא לנו לעבודתינו במנוחה ובישוב־הדעת
4. Un phénomène connu, pour ceux qui pratiquent la méditation, c’est ce que l’on peut appeler la “redescente du quotidien”: on commence la journée centrés, pleins d’équanimité et de kavanna (intention), se sentant “Un” avec le monde, le coeur ouvert… et puis arrivés au travail, le premier email stressant ou la remarque désagréable d’un collègue, et toutes les bonnes intentions du matin ont disparu.
Pour parer à cela, Rav Eckstein nous rappelle que la pratique méditative est portative, et constante: on doit la prendre avec nous dans la journée, et toujours garder la bonne distance émotionnelle: une forme de ‘hauteur de l’âme’ sur les événements.
C’est le sens profond de Avoda (littéralement le ‘travail”), et étymologiquement, dans le texte biblique, la pratique spirituelle.
Revenir à sa pratique spirituelle dans la feu de l’action, c’est peut-être l’un des aspects des plus pertinents, de la méditation juive pour nos vies quotidiennes au vingt-et-unième siècle.
Et ici, un nouvelle pratique (avoda) nous attend:, à savoir faire un effort et essayer (de pratiquer cette prise de distance émotionnelle) également au moment où nous faisons notre travail, durant la journée
וכאן תעמוד לפנינו עבודה חדשה, דהיינו להתאמץ ולהשתדל שגם בשעת עשיית עבודתנו במשך היום
et au moment où divers événements nous affectent.
Que notre âme s’élève sans bouger de sa place,
et même alors elle se gouvernera elle-même
et les actions seront entre ses mains.
תישאר נפשנו למעלה מבלי לזוז ממקומה
וגם אז תמשול היא בעצמה
והפעולות תהיינה נתונות בידה.