Le Lab 37 degrés et des poussières

Photo : article du quotidien turc Cumhuriyet (La République), titré :
« L’équipe israélienne de recherche et de sauvetage United Hatzalah met fin à ses activités en Turquie », le 12 février 2023

La terre a tremblé début février quelque part entre la Turquie et la Syrie, sur la faille géologique est-anatolienne, violemment, sournoisement, faisant tomber des édifices, fragilisant les structures d’autres, tuant par milliers, avant de trembler encore et d’achever et les âmes et les espoirs. L’épicentre se situe à à peine plus de 500 km de Haïfa, en Israël, autrement dit juste à côté lorsque l’on sait que les ondes du séisme ont été ressenties jusqu’au Groënland. Ironiquement, cet épicentre se situe à 37 degrés Nord et des poussières et 37 degrés Est et des poussières, à la jonction manifestement maudite des plaques anatolienne, arabique et africaine. 

Plus de 2000 répliques ont suivi ce séisme de magnitude 7,8 et il n’a pas fallu 9 heures pour qu’un deuxième séisme, de magnitude 7,7, frappe encore. Des heures durant, les habitants hagards de ces régions, en cette saison enneigée, ont tenté, vaille que vaille, de gratter, soulever, fouiller pour retrouver les leurs, tandis que l’un après l’autre, les bâtiments fissurés tombaient en direct sur TikTok ou YouTube shorts. Le nombre de victimes n’a cessé de croître. Il dépasse largement, à l’heure où j’écris, les 30.000 morts, mais les conditions d’accès, le nombre invraisemblable de ruines, les coupures d’eau, de gaz, d’électricité, la guerre, les millions de familles sans abri, les maladies qui font leur nid, tout laisse imaginer que ce chiffre n’est encore malheureusement que très sous-estimé.

La zone cumule tous les inconvénients : guerre interminable côté syrien (dont le gouvernement a tardé à ne serait-ce qu’ouvrir des corridors aux secouristes et à l’aide humanitaire), corruption endémique avec les résultats architecturaux dramatiques que l’on voit, isolement, relief, rigueur de l’hiver. C’est à se demander, comme en Haïti ou au Népal, si le sort n’a pas une prédilection pour les malheureux. 

Pourtant, dans le brouhaha des médias, de la guerre en Ukraine toute proche, de la crise inflationniste, on a vu, comme à chaque fois qu’une catastrophe terrasse les hommes, accourir les secouristes israéliens. Parce qu’une vie est une vie et que, nous dit le Talmud, « qui sauve une vie sauve le monde entier » (Sanhédrin 37a), chaque fois que l’humanité est meurtrie, des Israéliens se lèvent pour l’aider, pour la sauver, pour la soutenir, pour la consoler. 

37 degrés, c’est la température de la vie humaine. 37 degrés, c’est une valeur juive. Comme bien d’autres pays, Israël a envoyé des centaines de tonnes d’équipement mais surtout des centaines d’hommes pour offrir leur expérience, leur technique et surtout leur volonté et leur bravoure aux malheureux de la faille anatolienne. Un hôpital de campagne israélien et ses équipes ont aussi été installés dans les faubourgs de Kahramanmaraş pour secourir ceux qui, plus nombreux encore que les morts, ont été brisés dans leur chair et leurs os. 

Les réseaux sociaux ont montré plusieurs sauvetages héroïques et inespérés dans les décombres parce que les sauveteurs israéliens, avec les Azerbaïdjanais et les Grecs, sont arrivés les premiers, presque immédiatement, dans ces premières heures où tout se joue en termes de chances de survie. Tsahal a prêté du matériel de pointe capable de détecter des victimes ensevelies. L’ONG israélienne United Hatzalah a déployé immédiatement ses secouristes et ses urgentistes auprès du Croissant rouge turc avant de devoir quitter précipitamment les lieux en raison de « menaces sérieuses » contre ses membres. Le Magen David Adom, lui, poursuit son assistance sur place. N’en déplaise aux fâcheux (le site Middle East Monitor s’est par exemple fendu bien vite d’un article pour dénoncer la présence des secouristes israéliens sur place – on aurait aimé que la pige de son auteur aille plutôt à l’aide aux sinistrés), quelles que soient leurs convictions religieuses, la couleur de leur bulletin de vote ou leurs affinités idéologiques, ils partent, chaque fois que c’est nécessaire, aider à extirper des décombres des vies, des corps qui pourront encore être et devenir, des corps à 37 degrés. 

Dès 1953, la marine israélienne se portait au secours des rescapés des îles Ioniennes, en Grèce, après un séisme. Et Israël ne s’est plus arrêtée depuis lors : camps de réfugiés au Cambodge, en RDC, en Macédoine, séismes au Mexique, en Arménie, en Turquie déjà, en Grèce, en Inde, au Sri Lanka, en Haïti, au Japon ou au Népal, aide humanitaire et logistique pour les victimes des conflits yougoslaves, et des attentats argentins, kényans, égyptiens, bulgares, dans les catastrophes de Louisiane, du Ghana, des Philippines ou de Colombie ou encore, et ce n’est pas des moindres, l’opération « bon voisinage » qui a permis d’apporter une aide médicale et humanitaire concrète à des milliers de ressortissants syriens – un pays pourtant officiellement en guerre contre Israël – alors victimes de la guerre civile, tant en montant des structures sur place (en territoire formellement ennemi, donc) qu’en exflitrant et en sauvant des patients syriens dans les blocs opératoires de Nahariyia et Tsfat. 

Alors on pourra toujours argumenter qu’il y a là-dedans aussi du soft-power, du aidwashing ou de la communication, on pourra toujours avancer les chiffres des morts et des blessés des guerres en Israël et avec ses voisins, on pourra toujours préférer voir mourir un pêcheur grec, un instituteur turc ou une marchande haïtienne qui auraient pu être sauvés, pour ne pas accepter la main, parce que juive et israélienne, qui les secourt, il n’empêche que des vies sont sauvées, il n’empêche que ces femmes et ces hommes-là, qui se rendent au péril de leur vie dans les endroits que tout le monde fuit quand l’horreur s’y déroule, eux sont mus par une chose : 37 degrés, la température d’un corps humain en vie extrait des poussières. 

Antoine Strobel-Dahan