À SOUCCOT, AGITE-TOI!

La valeur du geste
Le père Marcel Jousse (1886–1961) a publié un livre remarquable, L’anthropologie du geste, où il explique que la première communication avec le monde passe par le geste. L’homme commence par parler avec ses mains; plus tard, il se balance en apprenant sa récitation et certains marchent pour penser ; et face à un étranger la gestuelle redevient langage universel. La pensée et la parole se nourrissent du geste, avant de se convertir en concepts et en mots d’une culture donnée.

Pour faire, pour parfaire
La tradition juive se sent à l’aise avec cette thèse. Dans le récit de la Création (Genèse 1:7), Dieu débute son faire par l’étendue du ciel, avant de conclure son œuvre « pour faire (laâssoth) » (Genèse 2:4). Pour faire? Pour parfaire répond le Midrash. À la suite du geste divin, tout le rituel d’Israël se décompose en « fais » (âssé) et « ne fais pas » (lo taâssé). La mitsva, surtout objetisée (tsitsit, mézouza, chandelier, etc.), se veut langage; à condition de ne pas devenir sourd à cette « voix du doux silence » en fétichisant l’objet.
Le peuple d’Israël est vecteur de messages révolutionnaires qui conservent toute leur pertinence. Citons le monothéisme éthique qui n’inaugure nulle guerre des religions, mais une vision harmonieuse des nations, sans volonté prosélyte; l’amour du prochain qui désigne celui qui partage notre espace de vie, et non un principe humanitaire généralisant ; et puis cette vocation abrahamique qui pose l’élection d’Israël en source de « bénédiction pour toutes les familles de la terre », par exemplarité bien sûr, non par imposition. Éclairer sans brûler !

Souccoth, fête universelle
La fête qui traduit cet esprit universel est bien Souccot. Celle du partage du pain à l’ombre de Dieu; celle des soixante-dix taureaux offerts « liturgiquement » aux symboliques soixante-dix nations nées à Babel; celle où quatre végétaux sont agités dans les six directions de l’espace. Certains dansent avec les loups, d’autres avec des plantes. « Soixante-dix visages à la Torah ». Soixante-dix interprétations qui rendent sa dignité au visage humain. Cinq jours après Kippour, où la communauté juive a vécu repliée sur son propre pardon, la Tradition demande d’agiter le loulav vers l’extérieur de nous-mêmes: secouer notre judéo-centrisme pour ne pas oublier quelle part de bénédiction nous pouvons porter alentour.