Après la colère et le deuil, songe d’une paix salvatrice

© Angela Strassheim, A View From Our Jerusalem Home 2013 – www.angelastrassheim.com – Image parue dans le numéro 172, été 2018

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C’est avec le regard d’un Juif de France, amoureux de cette double identité, de leur histoire et de leurs valeurs communes, de ce qu’elles portent de l’âme et de la civilisation occidentales que j’appelle à remplacer la tentation du fatalisme et du désespoir par une action résolue en faveur de la paix durable et de la vie. Je crois avec ferveur à une approche et à des solutions qui ne seront pas immédiatement favorablement accueillies par la majorité de ceux dont je me réclame, mais qui me paraissent éminemment nécessaires.

Les quelques derniers jours ont été, pour beaucoup d’entre nous, parmi les plus difficiles de nos vies.

Pour ma part, je n’en dors plus. Et chaque jour, le bilan humain s’alourdit et semble donner toujours davantage de raisons de pleurer.

1.300 morts en Israël, le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah. Des jeunes qui célébraient la vie ; des familles qui se réveillaient à peine dans leur lit ; des enfants qui pensaient passer ce long week-end de Simhat Torah à jouer, plutôt qu’à mourir sous les balles, le feu et les lames d’une haine aussi aveugle que meurtrière. 

Dix Bataclan, dix 13-novembre 2015, pour un pays qui a une population huit fois inférieure à celle de la France. 

Le Hamas ne veut pas la paix. Il ne sert que ses intérêts propres, sa folie extrémiste religieuse. Il ne cherche ni la libération, ni la santé, ni le bonheur des Palestiniens ; il n’aime que la mort – celle des Juifs, surtout, mais aussi celle de ceux qu’il prétend représenter.

Face à une telle horreur, Israël ne peut que vouloir se défendre, et il en a le droit.

Pourtant, après la détresse et la colère, mon premier constat est le silence assourdissant des non-juifs autour de moi. Dans leur grande majorité. Peut-être est-ce trop loin d’eux pour qu’ils s’en soucient ? Ou, n’ont-ils pas conscience de l’enjeu ? Ne savent-ils pas que c’est notre responsabilité collective qui est en jeu ?

Mais c’est probablement surtout – et il faut que tous les Juifs s’en rendent compte – qu’Israël a, depuis de nombreuses années déjà, perdu la bataille de l’image et des cœurs. En choisissant la position que son gouvernement propose depuis dix ans : celui de la seule force pour garantir la sécurité et l’existence continue de l’État et de sa population, quitte à parfois enfreindre le droit international, quitte à laisser le désespoir et les pires idéologies prospérer chez les Palestiniens.

Deuxième point : ce massacre terroriste massif est, à mes yeux, le discrédit absolu de la politique de Netanyahou et de sa plateforme prétendument sécuritaire, mais en réalité incapable d’empêcher que se produise le pire. Incapable de remplir sa mission la plus essentielle, celle dont il se targue dans une posture dure depuis tant d’années. 

À mes yeux, c’est aussi le signal d’alarme que la politique israélienne menée depuis plus de dix ans va droit dans le mur. Si la seule politique sécuritaire, les guerres successives contre le Hamas et le Jihad Islamique ne peuvent empêcher cela ; si cette politique entretient, de fait, tant de haine que des milliers de terroristes sont prêts à une telle ignominie, il ne nous reste collectivement qu’une alternative simple : désespérer de tout, ou changer de méthode.

D’abord, bien sûr, il faut réduire le Hamas et ses alliés. Punir par la justice la plus ferme les responsables de ce massacre et leurs soutiens. 

Mais, dans quelques semaines, dans quelques mois, il faudra aussi donner aux Palestiniens une raison d’espérer, plutôt que de perpétuer le cycle de la haine. Il me paraît essentiel de faire avancer, sans aucun cynisme, la résolution définitive du conflit, tant au niveau des femmes et des hommes sur place, que du droit international. Cette résolution ne peut advenir que par des gages donnés par Israël pour l’établissement d’un État palestinien souverain, qui devra être prêt à vivre en paix avec son voisin. Il faut cesser les accommodements avec les colons religieux de la droite la plus dure et leur dire : “Quittez ces implantations en Judée-Samarie (Cisjordanie), revenez vous installer dans les frontières acceptées d’Israël. Ou bien, si cela vous chante, restez, mais l’armée se retirera et ne sera plus occupée à vous protéger”.

Il faut que tous – Juifs de la diaspora, société israélienne, communauté internationale – nous prenions collectivement l’engagement formel de terminer ce conflit, pour que jamais plus des familles juives ne subissent un tel cauchemar ; pour ne plus donner aucune munition à l’excuse ou à la justification de pogroms ; pour honorer les valeurs de démocratie, d’humanisme, de liberté qui nous distinguent justement des idéologies criminelles et des extrémismes.

À ceux qui me répondraient qu’il est impossible de faire la paix avec des agresseurs, et que les Palestiniens n’accepteront jamais la paix avec un État juif souverain en Israël : c’est pourtant une nécessité absolue. Israël ne peut pas rester une épine dans le pied du droit international et un mobile de haine sans cesse renouvelée depuis 80 ans. En 1978, cinq ans seulement après la terrible guerre de Kippour, Israël fit la paix avec l’Égypte et s’assura une sécurité sans précédent. Yitzhak Rabin et Shimon Peres, plus tard, l’avaient aussi compris, et y étaient presque parvenus – avant que l’un ne se fasse assassiner par un extrémiste de son propre peuple, et l’autre ne se décourage. 

Il me parait essentiel de communiquer le plus clairement possible ce projet aux populations palestiniennes, pour que l’espoir renaisse et que le terrorisme perde son vivier actuel. Gagner les Palestiniens à cet espoir, c’est la meilleure façon d’assurer une paix de long terme à Israël, et d’affaiblir les groupes de haine qui se nourrissent du ressentiment et du désespoir, y compris le régime iranien.

Israël doit être irréprochable vis-à-vis du droit international ; il paraît aujourd’hui évident que ne pas l’être n’est pas une quelconque garantie de sécurité. Mon vœu pieux serait qu’Israël, sous les auspices d’un accord international, négocie de garder le plateau du Golan — garantie de sa sécurité vis-à-vis de la Syrie – et, de Jérusalem-Est, garder uniquement la vieille ville jusqu’au Kotel (mur des Lamentations), proposant sa partie la plus orientale comme capitale d’un futur État palestinien. Ou alternativement, on pourrait imaginer pour la ville unifiée une souveraineté partagée entre les deux États. Une nouvelle notion de droit international à inventer, mais pourquoi pas ?

Les soldats de Tsahal ne seraient-ils d’ailleurs pas mieux mobilisés à défendre de telles frontières, plutôt qu’à occuper la Cisjordanie ? La Jordanie ne fait plus la guerre à Israël. La Syrie, elle, est tenue en respect par le plateau du Golan. L’occupation, les check-points, les contrôles permanents ne font que renforcer le ressentiment des populations palestiniennes. Jamais un occupant n’a gagné en occupant.

Sans cette prise de conscience et de telles mesures, le conflit n’aura ni justice ni résolution ; Israël sera en insécurité permanente.

Il faut que l’occident soutienne de toutes ses forces Israël face au terrorisme ; il faut que le gouvernement israélien soit gagné par le bon sens et accepte de se battre, aussi, pour faire la paix. 

Cela peut vous paraitre inimaginable aujourd’hui, après un massacre terroriste sans précédent. Et, oui, il y aura d’abord la guerre totale contre le Hamas. Mais une fois que celle-ci aura été gagnée – et elle doit l’être – il faudra faire de la paix et de la vie, nos priorités.

La pulsion de vie, de construction et d’amour doit toujours surpasser la pulsion de destruction et de mort.

Pour la diaspora juive, le même mot d’ordre, aussi : sortez, profitez de la vie, célébrez-la. Ne cédez rien à la peur. Pied-de-nez au terrorisme mondial.

Tous ceux qui, de bonne volonté, partagent ma conclusion que cet effort de paix est impératif, doivent y participer de toute leur énergie. Parlons à nos adversaires, à l’ultra-gauche, à l’extrême-droite juive religieuse ; parlons, aussi, aux musulmans de France et d’ailleurs ; parlons, enfin et peut-être surtout, à tous les indifférents. Pour ceux d’entre nous qui avons le privilège singulier d’être à la fois Français et juifs, la responsabilité est plus grande encore : nous sommes porteurs d’une double universalité qui a une sagesse unique à apporter.

Fondons ensemble un forum de discussion pour la compréhension mutuelle et la paix. Tous les intéressés à échanger ouvertement leurs ressentis, leurs points de vue, et à travailler pour la paix durable seront les bienvenus – avec le seul souci que toujours triomphe la pulsion de vie sur celle de mort.