Arnaud Aldigé lit Jean Oppenheimer

Jean Oppenheimer , 34 ans lors de sa déportation
Déporté le 20 novembre 1943 par le convoi no 62 de Drancy à Auschwitz-Birkenau.

 

Jean (David Walter) Oppenheimer naît le 10 septembre 1909 en Allemagne et grandit à Haguenau dans le Bas-Rhin. À partir de 1939, à Paris, il est résistant sous le nom de « Monsieur Laurent ». Il est arrêté le 1er septembre 1943. Le 20 novembre, il est déporté par le convoi n° 62 à destination d’Auschwitz. En décembre il est intégré à Auschwitz III – Monowitz. Le 7 janvier 1945, il tente de se suicider. Le 18 janvier 1945, lorsque les nazis évacuent le camp, Jean est abandonné à l’infirmerie. 9 jours plus tard, le camp est « ouvert » par les Soviétiques. Du 14 mars à son arrivée à Marseille le 9 mai par bateau, il rédige un « journal de route » pour témoigner. Il est mort le 17 septembre 2003 à Paris. L’extrait recueilli ici est un témoignage direct du Sonderkommando recueilli par Jean dans une école de Katowice convertie en camp de regroupement.

Extrait de Journal de route, 14 mars-9 mai 1945 de Jean Oppenheimer
Éditions Le Manuscrit/Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2006

Jean Oppenheimer, né le 10 septembre 1909 en Allemagne.
Il grandit à Haguenau dans le Bas-Rhin. Au début de la guerre, il devient résistant à Paris sous le nom de Monsieur Laurent.
Déporté à 34 ans le 20 novembre 1943 par le convoi no 62 de Drancy à Auschwitz.
Affecté à Auschwitz III-Monowitz (Buna).
18 janvier 1945 : Jean est abandonné à l’infirmerie lors de l’évacuation du camp.
27 janvier 1945 : le camp est ouvert par les Soviétiques. Depuis un camp de regroupement polonais, il rédige son témoignage. Il rejoint Marseille via Odessa.
Il s’éteint en 2003 à Paris. 

Mardi 27 mars 1945
[Témoignage recueilli auprès d’un survivant du Sonderkommando] 

Déclaration d’un témoin oculaire ayant appartenu lui-même au Sonderkommando de Birkenau, crématoire numéro 2, du 5 juillet au 28 août 1943. Monsieur Oksenberg Noëll, 4 rue de Thionville à Paris XIXe (métro Crimée). Matricule 126 116. 

J’étais au Block 27 du camp Écuries (nouveau camp des femmes au sud de la voie ferrée nouvellement construite). Absolument exténué moralement, certain de mourir à cause des mauvais traitements et du manque de nourriture, lorsqu’un jour un SS vient demander des volontaires pour le Sonderkommando. Mourir pour mourir, arrivé à la dernière extrémité de découragement, encouragé par un camarade, j’ai donné mon numéro. 

Le lendemain matin à 5 heures, je suis appelé au bureau politique et j’en suis sorti à 6 heures avec trente camarades pour être dirigé sur le crématoire numéro 2, où nous étions isolés du monde entier. 

Auparavant le chef du camp nous avait lu nos nouvelles conditions de vie, qui se résument en un mot : interdiction formelle de communiquer avec le monde extérieur, sous peine de mort immédiate, puis, être sourds, muets et aveugles. En échange, les conditions de l’existence matérielle seront de premier choix. Je suis resté pendant deux mois à ce Kommando, où j’ai assisté au massacre de milliers d’hommes, femmes et enfants juifs. 

Je vais vous décrire le crématoire tel que je l’ai vu. Prenons, par exemple, un convoi à son arrivée en gare et suivons-le jusqu’au bout. 

Aussitôt le train arrêté, des SS font descendre des wagons les arrivants en leur enjoignant de laisser tous leurs bagages, y compris les sacs à main, avec la seule exception pour le pain qui était autorisé. Une partie du convoi était dirigée vers des camions  à droite (plus tard plus de camions, sauf pour les intransportables, une gare spéciale près des crématoires ayant été créée), l’autre partie à gauche. À gauche, c’était le camp de travail, où la mort lente, à droite c’était la mort immédiate en chambre à gaz et l’incinération. C’est de ceux-là que je veux témoigner. 

Donc, transportés par camion, première station aux Block de fouille, où tous les objets de valeur sont confisqués. Interdiction sous peine de mort de conserver un seul bijou, un seul objet de valeur. 

Ensuite, à pied ou portés sur des brancards pour ceux qui ne peuvent marcher, tout le monde est dirigé vers le crématoire distant d’environ 50 mètres. Arrivés là ils sont conduits vers les salles de déshabillage. C’est une pièce magnifique, moderne, avec des tapis et des bancs en velours rouge, où des écriteaux rappellent qu’il faut donner tous les bijoux qui auraient pu être encore conservés, de faire soigneusement les paquets de vêtements, des femmes SS ont poussé le cynisme jusqu’à faire recommencer ces paquets mal ficelés, d’autres inscriptions donnent des conseils d’hygiène et des recommandations pour la désinfection. 

Après cela, distribution à chacun d’une serviette et d’une savonnette. Après tout le monde s’engouffre dans un passage souterrain (quelques marches à descendre) au bout duquel une porte s’ouvre automatiquement et se referme de même sur les victimes. 1 500 à 1 800 personnes entrent ainsi dans les salles de douche ; c’est-à-dire chambre à gaz. 

Cette pièce est agencée en véritable salle de douche avec poires d’arrosage normales au plafond et des caillebotis par terre. Une fois de plus des écriteaux rappellent qu’il faut déposer bijoux et objets précieux en les jetant sur un petit tapis prévu à cet effet près de la porte d’entrée. 

Par une fenêtre une femme SS pour les femmes, un homme SS pour les hommes invitent à se ranger sous les becs de douche, conseillant de bien se laver et d’être propres en regagnant les Block. Puis, toutes portes et fenêtres fermées, à la place d’eau, d’énormes cylindres métalliques déversent leur contenu de gaz. 

Huit minutes plus tard, après que des ventilateurs ont chassé l’air vicié, nous entrons et trouvons devant nous le spectacle le plus horrible qu’un homme ait jamais vu. 

Tous les membres des victimes recroquevillés, les mains, les doigts incrustés les uns dans les autres et les corps dans des poses d’atroce souffrance. Chaque corps est tombé dans ses excréments, ou sur un voisin. 

Nous commençons notre travail par le ramassage des serviettes et savons individuels qui doivent servir tels quels à la prochaine fournée. Travail atroce accompagné de haut-le-cœur bien naturels. La mort a fait œuvre totale, jamais je n’ai vu de rescapés. 

Ici commence le travail du crématoire. 

En face de la porte d’entrée s’ouvre une large porte donnant sur deux voies Decauville, une montante, une descendante. Sur les wagonnets est placée une plate-forme de 2,50 m sur 3, sur laquelle nous mettons 15 à 18 cadavres (20 pour les enfants). Le chargement en place, les wagonnets roulent vers le four où la plate-forme portant les corps glisse directement sur le feu. Durée de l’incinération : environ quinze minutes. Là, les SS ramassent dans les cendres l’or des dents et tous autres métaux précieux, c’est leur prime. 

Les cendres sont mises en tas et, avec tous les résidus, jetées par camions entiers dans la Vistule. Pendant ce temps, préparation de la salle pour une nouvelle fournée. Toutes ces opérations doivent être terminées en une heure. 
Tout homme ayant appartenu au Sonderkommando était automatiquement et irrémédiablement condamné à mort. Je ne sais s’il y a d’autres survivants, mais moi, je dois mon salut à une chance extraordinaire.

Retrouvez toutes les lectures d’extraits de la collection “Témoignages de la Shoah” ainsi que les autres articles de ce hors-série.

Zohar Wexler lit Henri Rozen-Rechels

Henri Rozen-Rechels , 10 ans lors de sa déportation

Déporté fin 1943 de Demblin à Czestochowa.

 

Henri Rozen est né en 1933 en Pologne.
Le 6 mai 1942, son frère et sa sœur sont déportés de Demblin au camp d’extermination de Sobibor. À l’automne, il est amené au camp de travail de Demblin avec d’autres membres de sa famille. Fin 1943, il est déporté avec son grand-père au camp de Czestochowa. Un an plus tard, ils sont évacués en wagons à bestiaux au camp de concentration de Buchenwald  Puis, en avril 1945, ils subissent un transfert à pieds et en wagons ouverts vers Theresienstadt. Le 8 mai, le convoi est accueilli par des partisans en gare de Prague, Henri est libre mais son grand-père est mort dans le train. En juillet 1946, Henri arrive à Paris avec sa mère après être passé clandestinement par l’Allemagne depuis la Pologne.

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