Aux armes et cætera

L’édito de la rédaction

Difficile de vivre en France sans se sentir un peu « rebelle ». C’est l’ADN de ce pays que d’aucuns qualifieraient de « gaulois réfractaire ».La Révolution française dont nous sommes les héritiers et nous réclamons – qui verra, un temps du moins, l’émancipation des Juifs (des hommes juifs, faut pas pousser) – est le fruit d’une succession de révoltes pour la subsistance, la dignité, et les libertés.

Un peu partout, un vent rebelle semble se lever. Insurrection climatique tout autour du globe, gilets jaunes et mouvements sociaux en France, contestation de la réforme de la justice en Israël, tentative de prise du Capitole à Washington par des suprémacistes, insurrection brésilienne d’extrême-droite, soulèvement populaire en Iran, et à peine plus tôt, printemps arabes, #MeToo, et jusqu’à la toute récente « retraite » volontaire et tonitruante d’Adèle Haenel. Ce vent tourbillonne, il peut être conservateur, réactionnaire, voire fascisant, mais aussi progressiste et avant-gardiste, il est souvent radical et exigeant, il se cherche au moins autant qu’il nous cherche.

Dans ce numéro de Tenou’a, c’est de révoltés dont nous voulons parler, de ceux qui, comme en hébreu, explique Delphine Horvilleur, disent « Merde ! à ce qu’on croyait figé ». De ceux qui, en Israël et par millions depuis le début de l’année, refusent « de perdre le contrat qui les lie à l’État d’Israël », explique Sefy Hendler.

Les Juifs, des rebelles ? Ce serait un peu simple dit comme ça, mais il est remarquable que notre tradition fasse de la place à sa table, le soir du dîner le plus important de l’année, au « bel enfant rebelle » que décrit Rivon Krygier, comme il n’est pas inutile de rappeler que tout au long de leur histoire, les Juifs se sont levés contre l’oppression, depuis l’Antiquité et jusqu’au cœur de l’obscurité de la Shoah, en résistant aux nazis par tous les moyens, rappelle Annette Wieviorka.

Et si, nous demande le philosophe et talmudiste Ivan Segré, les Juifs s’étaient choisi des règles alimentaires contraignantes en rébellion contre l’animalité humaine ?

Parfois, les Juifs s’engagent dans des combats qui les dépassent de loin, comme ces héros de la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud dont Brigitte Sion dresse le portrait, comme ces militantes queer et juives d’extrême gauche, qu’a rencontrées Lucie Spindler, bien décidées à ne pas laisser les luttes radicales se soustraire à la question de l’antisémitisme qui traverse les temps et les idéologies. Et il fallait bien, avec Stéphane Habib et François Cusset, interroger la révolte woke dont on parle tant sans prendre le temps de la définir.

Et puis, Tenou’a poursuit sa révolution, en vous offrant toujours plus de contenus hors dossier, avec une revue des réseaux en doudoune papale, une bouleversante correspondance entre deux sœurs sur l’accompagnement en fin de vie, un hommage à la Ghriba de Djerba, meurtrie par un nouvel attentat en mai dernier, le témoignage d’Annette Lévy-Willard au procès de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic et un portfolio surprenant et inspirant qui repense les spoliations d’œuvres d’art par les nazis en France.

Côté littéraire, plongez avec Fanny Arama dans la truculence lucide et l’irrévérencieuse poésie de Jean-Claude Grumberg, tandis que nous vous conseillons aussi de lire Asaf Hanuka, Jordan Mechner, Martine Papiernik et Danny Trom.

Toute la rédaction de Tenou’a vous souhaite un été doux et inspirant, un été un peu rebelle voire, pourquoi pas, révolté.