Babi yar, Ukraine, septembre 1941

Babi Yar, Ukraine, septembre 1941

L’Ukraine est au coeur de l’actualité depuis février mais Babi Yar. Contexte était déjà terminé depuis plus de six mois quand la guerre a éclaté. Pourtant, le documentaire de Sergei Loznitsa forme un pont troublant avec l’actualité, dans toute son inhumanité.

Entièrement composé d’images d’archives allemandes, ukrainiennes et russes, Babi Yar. Contexte revient, comme son titre l’indique, sur les mois et années précédant et suivant le massacre de 33771 juifs perpétré dans le ravin de Babi Yar en septembre 1941 par des soldats allemands de l’Einsatzgruppe C et des policiers ukraniens. 

Sergei Loznitsa a grandi dans les années 70 à Kiev, tout près de Babi Yar avec le sentiment que tout le monde autour de lui savait mais se murait dans un silence étouffant. 

Travaillant sur des archives rares et restaurées avec les techniques les plus pointues, Sergei Loznitsa fait oeuvre cinématographique en choisissant un point de vue concerté qui remet les différents belligérants (Ukrainiens, Allemands, Polonais, Soviétiques) dos à dos, ou presque. Plan après plan, Loznitsa s’attache à disséquer l’horreur de la fuite des civils, des bombes qui éventrent les immeubles, des villages détruits au lance-flamme. Dans les chairs putréfiées couvertes de mouches des morts, les chevaux décharnés, les prisonniers hagards, les enfants terrorisés, nous retrouvons l’écho de l’immense roman de Claude Simon, La Route des Flandres qui raconte de la même manière une autre débâcle, celle de l’armée française, également devant les nazis, également en 1940. 

Serguei Loznitsa nous montre les Ukrainiens applaudissant indifféremment l’occupant allemand ou soviètique, tout se confond dans le même maelström de violence brute. Et comme une ombre portée au centre de la narration: la Shoah par balles envahit peu à peu tout le film. Les images silencieuses — et en couleur déjà — de cet immense ravin, la vision des restes des pauvres effets des dizaines de milliers de Juifs qui furent massacrés là, le comblement de cette fosse de Babi Yar qui occupa les habitants de Kiev huit années durant après guerre, composent le coeur battant d’une une implacable vérité.  

Le film s’achève avec le jugement de sbires ayant participé au massacre des Juifs de Kiev. Emerge, terrifiant, de cette mascarade de procès, le récit d’une des rares survivantes, littéralement miraculée, de Babi Yar. Chacune des phrases de cette revenante tisse un témoignage glaçant. Le documentaire de Loznitsa exhibe un monde complexe et vient faire vaciller une vision parfois manichéenne de l’histoire trouble de l’Ukraine: “Nous devons faire connaître la vérité, explique le réalisateur. La connaissance de l’histoire est la meilleure défense contre le ‘chronocide’, l’anéantissement du temps. C’est aussi le seul moyen de s’éloigner de l’héritage soviétique et post soviétique, où les pays de l’ancienne URSS se trouvent aujourd’hui enferrés “. Les Juifs apparaissent comme les victimes absolues et muettes de cette sauvagerie qui ne cesse d’endeuiller la terre d’Ukraine.