C’était mieux demain

L’ÉDITO DE LA RÉDACTION

Quand nous avons décidé de faire ce numéro prospectif et que j’ai contacté les auteurs pour leur proposer d’imaginer ce que serait notre monde dans quarante ans, j’ai été surpris par une tendance largement dominante dans les réactions de mes interlocuteurs : un regard pour le moins pessimiste.

« Quarante ans ? m’a dit une de nos plus jeunes contributrices, mais dans quarante ans, je ne veux pas y penser, je crois que nous n’existerons plus, que la Terre aura implosé sous l’effet du changement climatique. »

Il y a toujours eu deux types de récits de science-fiction : ceux qui imaginent le futur comme la promesse d’un monde meilleur, et ceux qui nous font voir le plus sombre des mondes à venir.

Si la Torah interdit les augures et autres divinations (Deutéronome 18), c’est, nous explique Judith Toledano-Weinberg reprenant l’interprétation de Rashi, pour « permettre aux hommes d’accueillir ce qui leur arrive, de se sentir responsables face aux événements et libres d’agir », pour éviter l’écueil d’un fatalisme qui voudrait que tout soit écrit d’avance.

Alors dans ce numéro, nous avons proposé à des intellectuels, des rabbins, des journalistes, des psychanalystes, des éducateurs, des architectes, des philosophes et bien sûr des artistes, de rêver ou de cauchemarder. Beaucoup ont choisi la fiction, qui permet de se libérer en partie au moins des contraintes d’un réel parfois bien anxiogène.

Dans ce numéro, vous croiserez une Jérusalem réduite à l’état de poussière par la chaleur accablante, un Moyen-Orient pacifié et uni devenu modèle de stabilité dans le monde, des débats rendus impossibles voire illégaux dans le souci de n’offenser personne, un Paris « zéro émission carbone » grâce aux progrès technologiques, la renaissance d’un sanhédrin, cette sorte de Cour suprême du judaïsme, des femmes qui ont pris le pouvoir et dominent la moitié masculine du monde, des synagogues sans rabbins et des grossesses sans géniteurs, un Tenou’a toujours bien là, huit milliards de Juifs sur Terre, et encore tant d’autres rêves, promesses ou menaces.

Parce que la fin n’est pas encore écrite, parce que les actions des hommes peuvent toujours changer le récit à venir, parce que les cauchemars servent aussi à ne pas se concrétiser, nous avons voulu vous offrir une image parmi toutes celles envisageables de l’avenir, un avenir forcément incertain, forcément intrigant, souvent inquiétant, mais parfois aussi réjouissant, empli d’espoir et d’humour.
En contrepied à la sinistrose du « C’était mieux avant », nous nous disons qu’après tout, tant que nous n’y serons pas, rien ne dit que l’avenir n’est pas merveilleux. « C’était mieux demain », qu’on vous dit. Alors bonne année 2063 à tous et, au cas où nous aurions oublié de le faire alors, bonne année 2023 aussi !

Antoine Strobel-Dahan
Rédacteur en chef