Édito : “Miroir, mon beau miroir…”

L’édito du rabbin Delphine Horvilleur.

Dans les contes de fées, le miroir dit toujours la vérité de celui qui s’y contemple. Il annonce avec certitude la fin de ses mensonges et de ses illusions et vient raconter le face-à-face lucide d’un être avec son identité immuable. Dans la réalité pourtant, aucun miroir ne peut dire toute la vérité sur un homme et son identité, car celle-ci n’est jamais énoncée une fois pour toutes. Elle est toujours fluctuante, en construction et composite.

Il en va ainsi de l’identité juive et de l’éternelle question « qu’est-ce qu’être juif ? » La définition de chacun à un temps donné est à la fois personnelle et contextuelle: elle n’est ni celle d’un autre, ni même celle qui sera demain la sienne. Et aucune définition n’achève la question.

Bien sûr, à travers l’histoire juive, certains énoncés normatifs ont tenté de s’imposer : Est juif l’enfant d’une mère juive ou celui qui s’est converti au judaïsme… Est juif celui dont un des parents est juif et qui est élevé exclusivement dans le judaïsme… Est juif celui dont les enfants ou les petits-enfants sont juifs… Est juif celui qui ne cesse de se poser la question de ce qu’est être juif… Aucune de ces définitions n’est fausse et aucune n’est vraie. Chacune est un éclat de vérité, une voix parmi d’autres.

L’identité juive est, à mon sens, la conscience permanente d’un exil qui n’est pas géographique. C’est une sédentarisation impossible sur les sables mouvants d’un désert intérieur et la conscience que le juif se trouve toujours, de façon contrainte ou choisie, dans un entre-deux identitaire : entre deux langues, entre deux noms, entre deux cultures, entre deux rêves, entre deux sens.

Cet état liminal se nomme en hébreu bein levein, un terme qui étymologiquement définit aussi la sagesse (bina). La sagesse juive est une conscience de l’exil, et une pensée de l’équivoque. Pas étonnant, dès lors, que l’humour juif regorge de trésors de double sens: l’arrachement est une expérience si tragique qu’il peut parfois vous arracher des éclats de rire.

Dans ce numéro de Tenou’a, en collaboration avec l’artiste Esti et le rabbin Marc-Alain Ouaknin, nous tentons d’explorer d’autres définitions. Elles éclatent par la voix de personnalités qui révèlent en quelques mots les reflets juifs qu’elles aperçoivent aujourd’hui dans leur miroir.