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Édito : Ville inachevée

L’édito du rabbin Delphine Horvilleur.

Depuis la destruction du Temple, la maison juive est en principe une construction inachevée. Selon la tradition, il faut en effet s’efforcer de laisser dans chaque habitation un pan de mur non peint ou le creux d’une brique manquante, une zone même restreinte qui suggère que le chantier demeure en cours. Où que nous nous trouvions, les lieux que nous habitons portent ainsi la mémoire de l’exil, ou plutôt la marque d’une sédentarisation toujours imparfaite. Depuis près de 2000 ans, les juifs habitent un espace de l’inachèvement. Leurs mai- sons portent la conscience d’un monde en attente d’être parachevé par l’œuvre humaine.

Et si toute ville était, à l’image de la maison juive, un espace inabouti ? C’est ce que suggère l’architecte Antoine Grumbach lorsqu’il explique qu’ « une ville achevée est une ville morte. La caractéristique des formes urbaines, c’est leur inachèvement perpétuel». Pour rester vivante, toute cité a besoin de terrains vagues, de chantiers, de projets en attente, bref, d’une conscience de l’inabouti et de l’infini, condition de son lendemain.

En hébreu, « ville » se dit ir עיר ,un mot dont Marc-Alain Ouaknin aime à rappeler qu’il signifie aussi « réveil ». Le modèle hébraïque de la cité est donc celui d’une interruption de somnolence, d’un sommeil dont il faut s’extraire pour que le projet urbain s’éveille.

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