Le Lab Être juive aujourd’hui

© Lucie Spindler/Le Lab Tenou’a – Marche de soutien à Israël, Paris, 9 octobre 2023

Je vais parler de quelque chose dont je n’ai pas l’habitude de parler. Je veux néanmoins publier ce texte pour essayer de partager ce que je ressens. 

Être juive aujourd’hui, ce lundi 9 octobre 2023, c’est voir des intellectuelles féministes qu’on lisait, qu’on admirait, qu’on soutenait, publier des inepties qui pourraient être qualifiées d’apologie du terrorisme.
Être juive aujourd’hui, c’est devoir recevoir des messages comme “Oh, la déception, je vous suivez (sic) pour votre activisme et votre militantisme féministe, mais le soutien que vous apportez là à Israël m’écoeure…”, alors qu’on vient d’exprimer son soutien à la tristesse des personnes qui ont perdu quelqu’un.
Être juive aujourd’hui, c’est devoir s’entendre dire “Ce conflit est compliqué, il dure depuis si longtemps”, alors qu’on vient de voir des images d’otages supplier leurs ravisseurs de les laisser en vie. Comme si la complexité d’un conflit, sa longévité, empêchait l’empathie.
Être juive aujourd’hui, c’est devoir lire des réactions uniques qui détournent les mots de Frantz Fanon, “La décolonisation est toujours un phénomène violent”, sans autre explication. Car justifier le massacre terroriste d’hommes, de femmes et d’enfants – des civils – en citant cette phrase semble être accepté, légitime même.
Être juive aujourd’hui, c’est se réveiller avec un tag à Carcassonne “Tuer les juifs est un devoir”. C’est ce même Frantz Fanon, je crois, qui disait: “Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous”. 
Être juive aujourd’hui, c’est devoir se justifier de condamner une attaque qui a tué le plus grand nombre de juifs en un jour depuis la Shoah, alors qu’on dit haut et fort à qui veut l’entendre qu’on est pour une solution à deux États.
Être juive aujourd’hui, c’est être fatiguée, déçue qu’on en soit encore là. C’est être en colère aussi. C’est avoir honte d’être en colère dans un environnement qui ne comprend pas ou qui fait semblant de ne pas comprendre. 
Être juive aujourd’hui, c’est être en alerte constante – Est ce que ça se voit trop que je suis juive? Est-ce-que c’est ok pour ma sécurité si je vais à la synagogue? Si je vais / mes amis vont à cette marche de soutien? 
Être juive aujourd’hui, ce n’est pas soutenir un gouvernement d’incapables d’extrême-droite dirigé par Netanyahou, c’est être fatiguée de devoir dire qu’on ne soutient pas un gouvernement d’incapables d’extrême-droite dirigé par Netanyahou quand on partage la peine de notre peuple.
Être juive aujourd’hui, c’est se sentir seule. Terriblement seule. Car être juive aujourd’hui, c’est vivre dans une société où on explique qu’il existe une logique à ne pas pleurer cette vie, où les juifs sont – encore et toujours – considérés comme des dominants, où partager la peine de celles et ceux qui ont connu l’horreur c’est s’exposer à des messages de haine.

Mais être juive aujourd’hui, c’est également ne pas avoir la possibilité du pessimisme.
Car nous n’avons pas le choix de l’espoir.

Texte édité par Charlotte Pudlowski
Rebecca Amsellem est docteure en économie et rédactrice de la newsletter féministe “Les Glorieuses”