Joyeux anniversaire, Tenou’a

Tenou’a célèbre cette année un double anniversaire : cela fait 13 ans que Delphine Horvilleur et Antoine Strobel-Dahan ont repris la rédaction en chef de cette publication du MJLF pour en faire la revue que vous connaissez aujourd’hui, et cela fait 10 ans que Tenou’a est une association autonome, indépendante de toute communauté, sous la présidence de Francis Lentschner et Élie Papiernik, qui travaille à faire dialoguer les voix et les pensées juives de France, d’Israël et d’ailleurs.
Alors que nous marquons ces deux anniversaires symboliques, Tenou’a continue d’évoluer et vous propose des podcasts, des vidéos, des rencontres, des Ateliers, des articles, témoignages, tribunes, décryptages, sur papier, sur son site Internet et sur ses réseaux sociaux.
Alors nous avons demandé à trois rabbins de différentes sensibilités de nous expliquer pourquoi ils contribuent à Tenou’a.

© Richard Kenigsman – richardkenigsman.com

Yeshaya Dalsace

Rabbin de la communauté massorti DorVador, Paris

Écrire pour Tenou’a est toujours un plaisir et un défi. Plaisir, car Tenou’a est l’un des rares lieux juifs d’expression plurielle qui existe en France. Défi car Tenou’a, tout en se voulant une revue de réflexion, tient à son format grand public et donc à des articles concis.

Les lecteurs ont le plaisir de recevoir une revue où des figures très différentes du monde juif s’expriment, dans des domaines et des formats très variés. Il y a donc un « mouvement » [ce que signifie en hébreu le mot תנועה tenou’a], une dynamique, véritable. C’est là incontestablement une réussite et une richesse.

Pour moi, la question est essentielle : existe-t-il en France une place pour un judaïsme pluriel, ouvert et en dialogue ?

Au cours des dernières décennies, l’orthodoxie, forte d’un pouvoir quasi hégémonique, a tout fait pour marginaliser les voix juives qui ne lui convenaient pas. Elle s’est enfoncée dans un discours de plus en plus dogmatique, pour ne pas dire sclérosé, et force est de constater que ce n’est pas de son sein qu’émergent les projets juifs les plus pertinents de notre époque, comme Tenou’a ou Akadem. Il est plus qu’agréable de pouvoir contribuer à de tels projets éditoriaux et d’exprimer des idées ou aborder des thèmes qui seraient ailleurs censurés.

Le judaïsme francophone n’est pas totalement étouffé, il respire de grandes bouffées d’air frais et sème encore de belles graines. Longue vie donc à une telle dynamique, une telle tenou’a !

Mira Neshama Weil

Rabbah ordonnée par la yeshiva orthodoxe Har’El, Jérusalem

Au moment où j’écris ces lignes, nous venons de clore le livre Shemot.

Dans le désert de tous les possibles où l’a précipité sa liberté, le premier geste d’Israël en tant que peuple est de construire un mishkan : un lieu de « résidence » de la présence divine sur terre. Ce lieu de connexion verticale est fait de la somme des contributions horizontales : les terumot (offrandes volontaires) singulières de ceux qui la composent. Or comme le souligne le Ishbitzer Rebbe, l’assemblage composite y devient vertu : « Tous les éléments disparates s’assemblaient parfaitement ».

L’art proprement « mosaïque » d’assembler les différences est ainsi, dans une perspective juive, plus qu’une accommodation avec le réel, une éthique. Pourquoi ? Car le Juif sait trop bien que la pensée unique atrophie les consciences.

C’est peut-être ce que vient nous rappeler la figure talmudique du aher, « l’Autre », ce célèbre rabbin devenu apostat mais dont personne n’a songé à gommer la présence. Aux côtés de Yitro et de Tsipora, de Ruth et de Balaam, le rappel omniprésent de « l’Autre » dans nos textes serait-il justement une manière de nous rappeler l’importance structurante, dans l’histoire juive, d’une tension constante entre tentatives d’homogénéisation et diversité de fait ?

Dans les cultures pluralistes contemporaines qui posent la subjectivité comme nouveau critère de l’authenticité, nous sommes tous les aher de quelqu’un d’autre : le haredi du chabad, le libéral du laïc, le modern-orthodoxe du traditionaliste, et j’en passe. Et là où cela devient intéressant, c’est quand tous ces « autres » se rassemblent pour penser ensemble. C’est ce qui se passe dans Tenou’a, et c’est pour cela que j’y prends part.

Peu m’importe comment un autre Juif s’habille ou mange le shabbat. Et si cela me dérange un peu, tant mieux. Ce qui m’importe, c’est comment il pense, comment il me réveille. Pour que mon judaïsme soit vivant, il a besoin d’être interpellé. C’est le principe des soixante-dix visages de la Torah, donc chacun d’entre nous témoigne d’une facette.

On dit que, dès que dix Juifs s’assoient ensemble pour parler de Torah, la présence divine vient résider parmi eux. N’est-ce pas là, après tout, la définition du mishkan [la tente d’assignation, autrement dit le sanctuaire] ?

Olivier Kaufmann

Grand rabbin (Consistoire)

Quelque chose à la fois de fascinant et réjouissant nous traverse lorsqu’on parcourt la revue Tenou’a.

Écrire dans Tenou’a s’est révélé pour moi un puissant antidote à la morosité ambiante, ce mal insidieux qui entrave parfois nos projets. Diversité des thématiques et mosaïque multicolore composée par les divers contributeurs nous libèrent et nous incitent à participer à l’écriture d’articles au sein de cette maison accueillante et inspirante. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’écrire dans Tenou’a constitua pour moi un virage existentiel mais plutôt, disons-le, un risque existentiel… Sortir de l’étroitesse des étiquettes qui nous enferment, voire même nous opposent, comme pour témoigner, par cet acte d’écriture « tenouatique », de l’espérance en un monde nouveau à venir.

Plus sérieusement, écrire dans Tenou’a, c’est écrire en étant porté par l’intelligence des bâtisseurs de cette revue en ayant la conviction qu’avec Tenou’a, nous devenons, à l’instar d’Abraham et Sarah, des « faiseurs d’âmes », ayant à cœur d’accompagner chacun de ses lecteurs dans leur épanouissement intellectuel et spirituel.

Longue vie à Tenou’a !!!