La conversion par amour

Le rabbin Lisa Rubin dirige le “Centre pour l’exploration du judaïsme” à Central Synagogue à Manhattan, un cursus de cours d’introduction et d’approfondissement du judaïsme à destination de ceux qui souhaitent se convertir ou des couples dont l’un des partenaires n’est pas juif.

ENTRETIEN AVEC LE RABBIN LISA RUBIN

Pour nombre de juifs, particulièrement ici en France, aimer un juif ou projeter de l’épouser n’est pas un motif « légal » ni une bonne raison pour se convertir. Pourtant, notre tradition compte de nombreux exemples de « conversions par amour ». L’amour est-il un bon motif de conversion ?
Il existe tant de portes d’entrée vers le judaïsme. La romance est une raison parfaitement valable et, effectivement, historiquement validée, de se convertir. La conversion par amour n’a rien d’un phénomène moderne. Au sein du Center for Exploring Judaism, c’est considéré comme une raison louable de conversion. Près de 95 % des conversions que nous effectuons ici débutent par une histoire d’amour. Bien entendu, si l’amour est un point d’entrée fabuleux vers le judaïsme, le partenaire non juif devra nécessairement, à la fin, ressentir que le judaïsme est bon pour lui personnellement. On ne chemine pas vers une conversion si le non-Juif n’a pas embrassé la tradition pour ses propres raisons.

Dans le cas où le partenaire non- juif ne souhaite pas se convertir, l’encouragez-vous tout de même à participer aux cours de façon à ce qu’il en apprenne plus sur la religion et la tradition de son partenaire juif ?
Absolument, surtout si le couple a décidé de construire un foyer juif et d’élever des enfants juifs. Dans ce cas, les cours ont le même but pour tous les élèves non juifs, qu’ils souhaitent se convertir ou non : jusqu’à la différentiation légale de la conversion, à la fin du processus, chacun a besoin d’apprendre et d’expérimenter le judaïsme, parce que chacun prévoit de vivre une vie juive d’une façon ou d’une autre. Par ailleurs, nous nous sommes aperçus que même des gens qui n’avaient pas l’intention de se convertir finissent par le faire à l’issue de l’expérience positive des cours et des conseils rabbiniques. Au début de notre cursus, 55 % seulement de nos étudiants non juifs pensent se convertir, à la fin ils sont 77 % à le faire.

La conversion du partenaire non juif d’un mariage mixte vous semble- t-elle être une bonne solution aux enjeux posés par le taux très élevé de mariages mixtes au sein du judaïsme américain ?
Oui. Il nous semble que l’avenir du judaïsme libéral est inextricablement lié à la façon dont nous allons nous emparer des problèmes de mariages mixtes et de conversions. En Amérique du Nord, le taux de mariages mixtes parmi les Juifs libéraux est de 70 à 80 %. C’est un paysage juif très différent de celui qu’ont connu nos parents. Toute discussion sur la continuité juive doit prendre en compte la conversion. Il ne faut pas se désoler du taux de mariages mixtes – c’est une chance exceptionnelle de pouvoir accueillir tous ceux qui souhaitent nous rejoindre. Si nous sommes capables d’être tels qu’il nous est demandé d’être face à l’étranger (ouverts, chaleureux, accueillants, bienveillants), alors notre communauté possède un potentiel de croissance énorme.

Certains (à l’image du rabbin Joe Kolakowski, voir p. 14) estiment que le mariage mixte peut être une voie de sortie du judaïsme pour des juifs que ça n’intéresse pas. Si nous renversons cette perspective, pensez-vous que la conversion du conjoint non juif est une bonne façon de ramener du judaïsme dans la vie de son partenaire juif ?
Oui ! Apprendre sur le judaïsme, le vivre, cela ne se produit pas en vase clos. C’est d’ailleurs pourquoi nous incitons fermement nos élèves à participer à nos cours en couple. 95 % des Juifs qui suivent notre cursus trouvent un renouveau dans leur sentiment d’appartenance au peuple juif. Statistiquement, difficile d’être plus évident. Tomber amoureux d’un non-Juif est un point de retour pour des Juifs qui n’ont plus étudié le judaïsme depuis l’adolescence.

Considérez-vous le mariage endogame comme une garantie de transmission ou de création d’un foyer juif ?
Non, malheureusement rien n’est garanti. Dans l’étude de 2013, A portrait of Jewish Americans (voir p. 15), on voit qu’un Juif sur cinq en Amérique se définit comme « sans religion ». Et parmi eux, les deux tiers affirmaient qu’ils n’élevaient pas leurs enfants comme juifs. Ceci suggère que le mariage de deux Juifs ne garantit nulle – ment la transmission et la continuité du judaïsme.

Selon votre expérience, ceux qui se convertissent par amour et épousent un partenaire juif conservent-ils habituellement un lien fort au judaïsme durant leur vie ? Transmettent-ils le judaïsme et une identité juive à leurs enfants ? En d’autres termes, la « conversion par amour » est-elle un des moyens de promouvoir et d’assurer la continuité juive ?
Encore une fois, la conversion par amour est une excellente raison si et seulement si le converti embrasse finalement le judaïsme pour lui-même. Je fais ce travail depuis dix ans. Jusqu’ici, j’ai vu les convertis embrasser totalement la vie juive, apporter au monde des enfants juifs et vivre dans des maisons pleinement juives. Souvent, le converti est le Juif le plus enthousiaste des partenaires du couple, parce que c’est son choix. Lorsque l’on fait le choix, en tant qu’adulte, d’une voie spirituelle, on se l’approprie souvent d’une façon bien différente par rapport à celui qui est né dedans. La continuité du judaïsme, ce sont des Juifs qui vivent de façon juive et qui transmettent leur tradition à leurs enfants. Qu’on devienne juif par conversion ou par la naissance, on n’est garant d’une tradition que si on l’embrasse durablement.

Propos recueillis et traduits par ASD