Le tour du monde dans une casserole

Le confinement fut l’occasion, pour beaucoup, de redécouvrir le plaisir de cuisiner et de manger ensemble. Chloé Saada a découvert une autre convivialité avec le partage de ses recettes sur les réseaux sociaux et les échanges que cela suscite. Et pour faire le plat de sa mère pour Pessah, elle a dû « télécuisiner ».

© Izabella Volovnik, “I’m Not Like Other Girls (said the Coronavirus)”, from the series “Insulating Material”

Pendant cette étrange période de confinement, pourquoi avons-nous eu autant envie de préparer des plats longuement mijotés, avec plusieurs étapes, des plats familiaux, ceux qu’on fait traditionnellement pour recevoir au moment où, justement, on ne peut plus inviter personne?
Est-ce une façon de conjurer le sort? ou de nous réconforter? Ou simplement parce que nous avons le temps… Sûrement un peu des trois. 

Dans ma famille tout le monde cuisine, c’est un vrai moment de partage. On aime la table, les bons produits, les recettes familiales autant que les nouvelles découvertes, mais on aime plus que tout être ensemble pour les déguster. 

Lorsque j’ai décidé de faire de la gastronomie mon métier il y a environ 12 ans, je ne savais pas à quel point celui-ci me remplirait de bonheur, c’est pour moi un travail autant qu’une passion. Je ne suis jamais lasse de cuisiner, d’inventer, d’explorer et de découvrir de nouvelles saveurs. 

En cette période trouble ou je ne pouvais plus cuisiner pour les autres professionnellement, il était si étrange de m’apercevoir que j’étais incapable d’interrompre cette activité, mais surtout que je n’étais pas la seule à cuisiner pour moi et ma famille. 

Mes courses étaient faites d’une semaine sur l’autre et, dès le petit-déjeuner, j’attaquais avec des gaufres, je quittais ma cuisine pour de nouveaux horizons avec des pancakes au sirop d’érable ou un brunch a l’israélienne, le midi c’était bœuf bourguignon, shakshouka, riz à l’asiatique, fajitas au poulet ou aubergines à la parmigiana. À 16 heures, on passait au fraisier, opéra ou autre tiramisu, le soir j’y allais de plus belle avec du couscous au poisson, kneider, pizza maison, boulettes au cumin ou rouleaux de printemps… bref j’ai fait le tour du monde depuis mon appartement. Plus les préparations étaient longues, plus elles étaient sophistiquées, plus elles me faisaient voyager, plus j’y prenais plaisir. 

C’est un vrai bonheur pour moi de diffuser mes recettes sur les réseaux sociaux et de les voir apparaître sur d’autres tables que la mienne.
J’ai noué sur la toile de nouvelles amitiés, j’adore regarder les photos de mes plats réalisés par les autres, dialoguer et échanger avec eux des conseils culinaires, c’est aussi un moyen de créer de la rencontre et du partage.

Beaucoup se sont d’ailleurs mis à faire du pain pendant cette période. Y a-t-il plus symbolique que le pain lorsque l’on manque de copains? 

Je dois avouer que le moment autour de la cuisine le plus émouvant a été pour moi les fêtes de Pessah: j’ai dû pour la première fois de ma vie réaliser le plat traditionnellement préparé par ma maman, le « msoki »: un plat juif tunisien à base de légumes du printemps, d’herbes fraîches, d’épices et de viande. 

J’ai donc cuisiné cette recette au téléphone avec ma maman qui m’épaulait. 

J’étais si fière de l’avoir réussie.
J’en ai fait livrer une part à ma mère et ma sœur, il était inconcevable pour moi que nous ne partagions pas le même plat alors que cette année pour la première fois nous ne pouvions pas être assise autour de la même table. 

Les Américains appellent comfort food toute la cuisine familiale. C’est celle-ci qu’on a le plus envie de faire dans ces temps où tout vacille. Et on se rend compte à quel point cuisiner est réconfortant – manger aussi, mais ça, on le savait déjà ! 

Chauffer les marmites serait donc un moyen de réchauffer les cœurs – y a-t-il plus savoureux moyen ?