Les haters n’attendent pas le printemps

La Revue des réseaux de Julia Lasry

© Julia Lasry

Bienvenue dans cette nouvelle revue des réseaux ! Quelles nouvelles, dans ma bulle de filtre ? Comme chaque trimestre, je résume pour vous des heures de temps perdu qui ne se rattrapent plus, à scroller sur Instagram, X, TikTok et autres plateformes aussi dingues que notre époque. Quels sont les micros et grands tumultes qui ont nourri nos algorithmes, ces dernières semaines ? Que disent-ils de nos identités juives en ligne ? De nos combats ? De notre époque ? Au programme, ce trimestre, fractures, victoires, cyberharcèlement et vérit…, ah non, ça, pas trop.

Au fait ! La revue des réseaux devient mensuelle et numérique, sur le site de Tenou’a.
Alors si vous voulez partager votre veille, n’hésitez pas : julia@tenoua.org !

Fractures

Dans mes réseaux ces dernières semaines, le choc Butler. Philosophe du genre, figure de référence féministe et queer, professeure à Berkeley, Judith Butler a lâché une bombe, en qualifiant les viols et violences sexuelles commises par le Hamas sur les Israéliennes d’”actes de résistance armé”. Dans l’extrait vidéo de son interview dans Paroles d’Honneur (“Nouvelle émission de débat politique, pour un regard neuf sur l’actualité en faisant entendre la voix des quartiers et de l’immigration postcoloniale”), elle expose : “Ce n’est pas une attaque terroriste et ce n’est pas une attaque antisémite. C’était une attaque contre les Israéliens et, vous savez, je n’ai pas aimé cette attaque, je l’ai dit publiquement, j’ai eu des problèmes pour avoir dit ce que j’ai dit. Ça a été très angoissant pour moi !”.

Lues sur X (ex-Twitter, pour ceux qui ont débranché) : “Si le féminisme ne défend pas TOUTES les femmes, il les trahit toutes”, rappelle Delphine Horvilleur. Sophia Aram, elle, poste une tribune de Laurence Rossignol (ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Présidente de l’Assemblée des Femmes): “Refuser de reconnaître ou de dénoncer le viol de masse, arme de guerre du Hamas, au motif qu’il faut soutenir la cause palestinienne en fermant les yeux sur le Hamas n’est pas entendable”. Sur le compte Instagram de K. La revue: “La bêtise des discours produits par la situation à Gaza fleurit partout, dans tous les camps. Mais c’est la bêtise des élites intellectuelles sur laquelle il faut s’attarder. Après tout, n’est-ce pas leur travail d’éclairer le monde au lieu de l’obscurcir?” J’ai liké.

Cette bombe ne fait que renforcer une fracture bien entamée dans le (les?) féminisme(s). Un féminisme asymétrique, moins inclusif avec les Juives, qui se sentent bien seules. En témoigne la création du hashtag #metoounlessyouarejew [On vous croit, sauf si vous êtes juives], qui souligne l’exception fatale au “on te croit”, pierre angulaire du mouvement Metoo.

Les vidéos des manifestations du 8 mars à Paris ont montré les agressions qu’ont subies les femmes des collectifs “Nous vivrons” et “No Silence”, agressées par des militants propalestiniens – alors qu’elles marchaient avec des pancartes rendant hommages aux femmes victimes du Hamas, avant d’être exfiltrées de la manifestation. “Un 8 mars triste et confus”, résume le communiqué du collectif “Juifs et juives révolutionnaires”, qui souhaite réaffirmer la possibilité d’un féminisme internationaliste, antiraciste et contre l’antisémitisme.

Cette solitude, on s’en parle, sur WhatsApp avec les filles de Tenou’a. Sans les trahir, vous pourriez lire sur notre groupe : “Envie de pleucrier”; “😡/🤢 ”… puisque c’est précisément sur ces plateformes que se sont affûtées nos identités féministes, sur ces espaces privilégiés d’expression et d’éducation, au travers de rôles modèles qui, pour nous du moins, tombent de leurs trônes dans un fracas aussi silencieux que douloureux.

Un peu de justice

Il y a quelques mois, je vous parlais ici de la battle royale Booba vs Magali Berdah. Le rappeur-justicier attaquait sur les réseaux l’influenceuse-aux-pratiques-douteuses, escorté par sa cavalerie de trolls cyberharceleurs sexistes et antisémites. Fin d’un premier volet du procès, avec une sentence assez historique, annoncé sur Instagram par un communiqué des avocats de la plaignante. La justice a condamné l’ensemble des 28 individus jugés pour cyberharcèlement aggravé, menaces de mort et de crime à l’encontre de Magali Berdah de “28 peines d’emprisonnement, dont 14 de prison ferme”.

“Une décision qui marque la lutte contre la haine en ligne”, écrit Rachel-Flore Pardo, l’une des avocates, aussi « activiste » engagée pour les femmes et dans la lutte contre le cyberharcèlement.

Une décision rendue publique le 19 mars, également date de la douzième commémoration des attentats de Toulouse. Ce jour-là dans mon fil, des témoignages d’anciens élèves d’Ozar Hatorah ou d’amis qui se souviennent, comme Liv, 20 ans, jeune femme vêtue du kaki de Tsahal, une amie de Myriam Monsonégo – Myriam, elle, restée petite fille au visage angélique.

Cyberharcèlement

Les haters n’attendent pas le printemps pour bourgeonner. Coco, la dessinatrice de Charlie Hebdo et Libé, a été victime d’une vague de cyberharcèlement, après la publication d’une de ses caricatures dans le contexte du ramadan à Gaza. Son dessin représente un homme, dans la détresse et les ruines de Gaza, prêt à manger un rat, à qui l’on dit : “T-T-T, pas avant le coucher du soleil!”. Sur son compte Instagram, à l’image du western qu’est notre époque, s’affrontent en commentaires les “shame on you”, les “soutien inconditionnel à la liberté d’expression”, et “Les gars, c’est un dessin propalestinien. Et super drôle aussi. Vous êtes fous ou quoi?! Merci Coco“.

En parlant de cyberharcèlement, Rachel-Flore Pardo n’a pas chômé, en mars, puisqu’elle s’est aussi occupé de la défense d’Élise Goldfarb, victime elle aussi d’agression en ligne, après avoir dénoncé en story les nombreuses fake news du compte PBB, notamment en interpellant Meta. Invitée sur radio RCJ, Élise confie, dans un extrait publié sur son compte Instagram: “Cette vague de cyberharcèlement me fait de la peine, et me fait peur surtout. Je me dis que si ces gens arrivent jusqu’à moi, c’est qu’ils existent”.

La vérité

Entre la sœur de Xav de Ligonnès, prête à jurer sur la tête de toute sa famille que son frère est innocent, les pubs créées par des intelligences artificielles de Taylor Swift faisant la promo des cocottes Le Creuset, et toutes les fake news qui circulent allègrement sur les “sionistes” depuis le 7 octobre, la vérité sur les réseaux sociaux, c’est quelque chose. La panne, de Meta le 5 mars… qui a débranché les messengers, stories et autres threads, pour des dizaines de milliers d’usagers? Hein, qui? La vérité, on n’en sait rien, mais c’était pas mal!

  • Antoine Strobel-Dahan
  • Brigitte Sion

L’art des haggadot

La haggada, le récit de la sortie d’Égypte, que les Juifs lisent durant le séder de Pessah, est sans doute l’un des objets qui a le plus excité la créativité des Juifs depuis toujours. Il en existe des milliers, très différentes. Certaines portent une lecture rigoriste du texte, d’autres assument leur militantisme ou un parti pris artistique fort.
Brigitte Sion et Antoine Strobel-Dahan, qui cumulent chacun une jolie collection de haggadot, en ont choisi quelques-unes qu’ils estiment remarquables…

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