LOUISE PIKOVSKY – “Si je reviens un jour”

LOUISE PIKOVSKY est déportée en même temps que ses parents, Barbe et Abraham, ses sœurs Annette et Lucie et son frère Jean. Depuis l’été 1942, elle entretient une correspondance avec une de ses professeures, Mademoiselle Malingrey. Ses lettres sont retrouvées des années plus tard dans le lycée parisien qu’elle avait fréquenté. Après des années de silence, les mots de la jeune Louise reprennent vie dans les couloirs de l’école où enseignants et élèves connaissent désormais l’histoire de leurs camarades d’antan déportés. La journaliste Stéphanie Trouillard réalise pour France 24, à partir de l’histoire de Louise et de ses lettres, un splendide webdocumentaire : “Si je reviens un jour”, ainsi qu’une bande dessinée avec Thibaut Lambert (parue em 2020 chez Des ronds dans l’O).

© Mémorial de la Shoah / Coll. Lycée Jean de la Fontaine

LOUISE PIKOVSKY, 16 ANS
Née à Paris le 7 décembre 1927.

Arrêtée à Boulogne-Billancourt le 22 janvier 1944.
Déportée de Drancy à Auschwitz le 3 février 1944 par le convoi no 67.
Assassinée.

CONVOI N° 67
PARTI DE DRANCY LE 3 FÉVRIER 1944, ARRIVÉ À AUSCHWITZ LE 6 FÉVRIER 1944
1 200 DÉPORTÉS DONT 187 ENFANTS
62 RESCAPÉS
C’est l’un des quatre convois emportant le plus de déportés de l’histoire de la déportation de France. Parmi les 1 200 déportés, on trouve plus d’une vingtaine de nourrissons et enfants de trois ans ou moins, ainsi que 14 octogénaires.
À l’arrivée, 166 hommes et 49 femmes sont sélectionnés pour le travail. La moitié des déportés environ ont été raflés le 22 janvier 1944 à Paris.
Outre la famille Pikovsky, le convoi 67 transporte aussi le jeune résistant qui deviendra chef opérateur et scénariste reconnu Willy Holt. Il n’est pas juif mais, son père étant américain, il est circoncis et donc pris pour un Juif et déporté à Auschwitz. Il survit aux Marches de la mort vers Buchenwald. Dans ce même convoi est déportée la famille Torrès : les parents Louis et Estreya et leurs 9 enfants : Esther-Yvette, Ernest, Marcel, Louise, Edmond, Raymond, Lucette, Simone et Georges âgés de 17 à 3 ans.

Sources : S. Klarsfeld, Mémorial de la Déportation des Juifs de France
et A. Doulut, S. Klarsfeld, S. Labeau, Mémorial des 3 943 rescapés juifs de France

En 2010, des lettres et des photographies ont été trouvées dans une vieille armoire du lycée Jean-de-La-Fontaine, dans le 16e arrondissement de Paris. Enfouis là depuis des dizaines d’années, ces documents appartenaient à une ancienne élève, Louise Pikovsky. Un webdocumentaire de France 24, Si je reviens un
jour
, aujourd’hui adapté en bande dessinée, a redonné vie à cette lycéenne juive, déportée avec sa famille par le convoi n° 67 en direction d’Auschwitz.

© Mémorial de la Shoah – Coll. Hatchy/Lerch/Choukroun/Trouillard

« Nous sommes tous arrêtés. Je vous laisse les livres qui ne sont pas à moi et aussi quelques lettres que je voudrais retrouver si je reviens un jour. Je pense à vous, au Père et à Mlle Arnold, et je vous embrasse. Louise ».

Quelques mots griffonnés à la hâte sur un morceau de papier. L’urgence. La peur. La tendresse. Mille émotions transpirent de ce petit mot. Il a été écrit il y a 76 ans, par une lycéenne parisienne dénommée Louise Pikovsky. Arrêtée le 22 janvier 1944 à son domicile, à Boulogne-Billancourt, avec ses parents et ses frères et soeurs, la jeune fille a le temps d’écrire une dernière missive à l’une de ses professeurs du lycée Jean-de-La-Fontaine, situé dans le 16e arrondissement, Anne-Marie Malingrey. C’est grâce à cette enseignante que ces quelques lignes, témoignage de l’horreur et de la disparition de toute une famille, nous sont parvenues.

Pourtant, pendant des années, cette lettre, ainsi que plusieurs écrits de Louise Pikovsky adressés à mademoiselle Malingrey, sont restés enfouis dans une vieille armoire de ce lycée parisien. Ce n’est qu’en 2010, au hasard d’un déménagement, qu’une professeure de mathématiques, Christine Lerch, a découvert dans une enveloppe kraft ces précieuses archives. « J’ai trouvé ce petit mot. “Nous sommes tous arrêtés”. C’ était absolument saisissant. (…) On avait l’ impression que le temps s’ était arrêté », explique-t-elle. Dès la première lecture, cette enseignante se prend d’affection pour cette élève qui a autrefois arpenté les couloirs de ce même lycée. Pendant plusieurs années, elle essaye tant bien que mal de retracer son parcours, sans succès. Ses demandes d’aide rencontrent peu d’écho. En 2016, à l’heure de partir à la retraite, elle se retrouve face à un dilemme. Que faire des lettres de Louise ? C’est en se rendant au centre de documentation et d’information du lycée qu’elle trouve enfin du soutien. Émue, elle aussi, par les écrits de la jeune fille, une professeure documentaliste, Khalida Hatchy, reprend le flambeau.

CELA SORT DES CENDRES DE LA SHOAH

Informée de mon intérêt tout particulier pour l’histoire, et notamment la Seconde Guerre mondiale, cette dernière me demande de l’épauler dans ses recherches. Nous nous donnons une mission : retracer le parcours de ces lettres et surtout l’histoire de Louise Pikovsky. Pendant plusieurs mois, la jeune fille devient notre obsession. Qui étaitelle ? Pourquoi cette correspondance ? Très rapidement, nous retrouvons des membres de sa famille ayant survécu à la guerre. Le choc est immense. La joie est démesurée. Soixante-dix ans après, des archives personnelles refont miraculeusement surface. « Cela m’a rappelé un petit peu le journal d’Anne Frank. Cela sort des cendres de la Shoah », résume Judith Simons, une cousine germaine de Louise.

Comme nous, sa famille est impressionnée par la qualité de ces écrits. Lorsque Louise correspond avec sa professeure à l’été 1942, elle n’a que 14 ans. Mais dans ses lettres, la jeune élève fait preuve d’une incroyable maturité. Trois semaines après la rafle du Vélodrome d’Hiver durant laquelle plus de 13 000 juifs ont été arrêtés dans Paris et sa banlieue et au cours de laquelle son père a été brièvement interné à Drancy, elle n’exprime pas ouvertement ses angoisses, mais les laisse transparaître en quelques mots : « Oh ! Mademoiselle, si vous vouliez me reparler de la joie. Je suis sûre que nous ne pouvons apprécier le bonheur qu’après avoir souffert, mais est-ce que la souffrance a des arrêts. Je finis par en douter ».

Ses préoccupations ne sont pas celles d’une adolescente ordinaire. Dans ses lettres, un véritable échange philosophique se tisse entre l’élève juive, arrière-petite-f ille de Salomon Wolf Klein, grand rabbin du Haut-Rhin à Colmar, et sa professeure, une catholique pratiquante, spécialiste de la littérature grecque chrEtienne. Elle l’interroge notamment sur le sens à donner à la religion : « Tant de choses me déplaisaient chez les gens croyants et pratiquants ! Ma grand-mère par exemple, qui tomberait malade si elle savait que nous écrivons le samedi. Et toutes ces pratiques établies en d’autres temps et qui n’ont aucune raison d’exister maintenant ! », confie-t-elle à sa professeure. « Tout cela m’a tant déplu que j’aie longtemps hésité. Mais vous m’avez vaincue… Je crois que Dieu nous aide, mais je ne crois pas qu’ il nous entende ».

LA JOIE EST BIEN EN NOUS. QUEL QUE SOIT LE DEGRÉ DE NOTRE SOUFFRANCE

Louise cherche-t-elle des réponses dans la religion pour mieux comprendre ce qui se déroule autour d’elle en cette période d’Occupation ? Sentelle la menace qui pèse sur sa famille ? Quelques lettres plus tard, elle écrira ces mots sur l’absence de liberté qui, vue d’aujourd’hui, semblent prémonitoires : « Je pense que les Grecs avaient raison de considérer comme la plus grande souffrance, celle de ne plus voir la lumière du soleil. Oh oui ! Pouvoir respirer l’odeur de l’herbe, voir le soleil dans les champs et à défaut, voire même les couchers de soleil à Paris, admirer les étoiles, c’est bien la première joie. (…) La joie est bien en nous. Quel que soit le degré de notre souffrance, nous pouvons toujours en trouver encore un peu en pensant que notre tâche n’est jamais terminée (…) Je comprends maintenant ce texte latin que j’ai traduit en 5e et dont je ne me rappelle plus que ceci : un homme ayant perdu ses biens, dont les filles ont été emmenées en esclavage et qui dit : ‘On ne m’a pas pris ma richesse, car ma richesse est en moi’ ».

Cet esprit vif explique sans nul doute le lien si particulier qui unissait Louise et Mademoiselle Malingrey. À travers son élève, cette professeure de lettres a perçu une intelligence hors du commun. Mais ces rêves d’excellence ont été brisés par la guerre. La vie de Louise a pris fin un jour d’hiver 1944 alors qu’elle avait à peine 16 ans. Pendant des années, son souvenir s’est perdu. Il s’est comme évaporé avec les fumées du camp d’Auschwitz. Soixante-dix ans plus tard, son souvenir a soudainement été ravivé dans l’enceinte même de son ancien lycée, et il a également permis de retrouver la trace de ses camarades, elles aussi conduites vers les chambres à gaz. Les élèves actuels ont été mis à contribution pour chercher le nom de toutes les déportées du lycée. Six ont finalement été retrouvées et une plaque en leur mémoire a été inaugurée en novembre 2017 au sein de l’établissement.

Ce travail de recherche et de mémoire a été synthétisé dans un webdocumentaire réalisé pour le site internet de France 24 et rédigé en plusieurs langues : français, anglais, arabe, allemand et roumain. Depuis sa sortie, il y a trois ans, les lettres de Louise Pikovsky n’ont cessé de voyager à travers le monde. De Montréal à Alger, en passant par Kiev ou encore Hong Kong, Si je reviens un jour a été présenté à des milliers de personnes et a su toucher l’âme de lecteurs de toutes nationalités et de toutes confessions. De nombreux établissements scolaires utilisent aujourd’hui ce mini-site et les écrits de l’adolescente pour enseigner l’histoire de la Shoah aux élèves du XXIe siècle. À l’heure où les derniers témoins disparaissent, ce webdocumentaire se révèle un outil très utile pour faire comprendre à la nouvelle génération comment une famille a été décimée par une idéologie haineuse.

Pour toucher un public toujours plus large, il est aujourd’hui adapté en bande dessinée avec l’auteur Thibaut Lambert, aux éditions des Ronds dans l’O. La parole de Louise Pikovsky n’en finit plus d’être entendue et de se diffuser. Ses bourreaux n’ont pas réussi à la faire taire. Elle résonne plus que jamais. Comme l’a si justement noté Claude Counord, l’une de ses cousines, la lycéenne de La Fontaine est bel et bien revenue.

Stéphanie Trouillard et Thibaut Lambert,
Des ronds dans l’O, 2020, 20 €
  • Georges Mayer

Dora Bender – Quand des élèves s’emparent de l’histoire de la Shoah

DORA BENDER avait été confiée, comme ses frères Jacques et Jean et sa soeur Mina, à l’Union Générale des Israélites de France (UGIF) par ses parents. Le père, Josek Chaïm, est arrêté en mai 1941 au cours de la rafle du « billet vert » et transféré au camp de Pithiviers avant d’être déporté vers Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi n° 4. Il y meurt à l’âge de 41 ans. Jacques, Dora et Jean sont arrêtés en juillet 1944 au cours des rafles de la Gestapo dans les centres de l’UGIF à Paris et transférés à Drancy avec leur tante Tauba, ménagère au centre UGIF de Lamarck-Secrétan. Le 31 juillet 1944, Jacques, Dora et Jean sont déportés de Drancy-Bobigny par le convoi n° 77, l’un des derniers en direction d’Auschwitz-Birkenau. Ils font donc partie des dernières personnes à être déportées de France dans des wagons à bestiaux. Tous trois meurent à Auschwitz.*

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