Lucien Jean-Baptiste Lit Nicolas Roth

Nicolas Roth, 16 ans lors de sa déportation
Déportée du ghetto de Debrecen à Auschwitz-Birkenau le 28 juin 1944

 

Nicolas naît le 7 avril 1928 en Hongrie.
À l’arrivée à Auschwitz-Birkenau le 30 juin 1944, Nicolas est le seul de sa famille à être sélectionné pour le travail. Ses parents et sa sœur Magda sont gazés et brûlés. Il porte le matricule A17140.

Le 18 janvier 1945 commence une Marche de la Mort qui doit le conduire jusqu’aux camps de Gross-Rosen puis Dachau. Après l’ouverture du camp le 29 avril, Nicolas rejoint son frère et sa sœur en France en passant par l’Italie et s’installe à Paris. Il est naturalisé français en 1954 

Extrait de Avoir 16 ans à Auschwitz, Mémoire d’un juif hongrois de Nicolas Roth 
Éditions Le Manuscrit/Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2011

Nicolas (Miklos) Roth, né le 7 avril 1928 à Debrecen en Hongrie.
Déporté à 16 ans avec ses parents et une sœur à Auschwitz II-Birkenau. Seul sélectionné, il est tatoué du numéro A17140.
18 janvier 1945 : “marche de la mort” durant deux jours puis transport en wagons découverts au camp de Gross-Rosen puis celui de Dachau en Allemagne. Il est blessé et reste à l’infirmerie. 
29 avril 1945 : le camp est ouvert par les Américains.
Nicolas arrive en Italie puis rejoint son frère et sa sœur à Paris. Il travaille dans la confection et est incorporé dans l’armée avant d’épouser Michelle avec qui il aura 3 enfants. Il témoigne régulièrement et accompagne des scolaires à Auschwitz.
Il s’éteint en 2020 à Paris.

Le 28 juin 1944, le convoi prit le départ vers une destination que nous ne soupçonnions même pas. 

Dans le wagon, nous étions quatre-vingts (certains disent quatre-vingt-cinq). Il est évident que parmi ceux enfermés dans cet espace restreint régnait, du moins à ce moment-là et dans une certaine mesure jusqu’au bout de notre voyage, une relative entente, une indulgence pour les plus âgés, une tolérance pour les plus fragiles nerveusement, et cela a peut-être rendu plus supportable ce voyage long, pénible, éprouvant. 

Dès le départ, nous – papa, maman, ma sœur Magda et moi-même – nous étions installés face à la porte à glissière du wagon, à gauche dans le coin formé par les parois du wagon. Moi, presque en face de la lucarne grillagée, mes parents et ma sœur contre la paroi en retour. Cette situation a certainement rendu moins difficile le trajet, dans la mesure du possible. 

Pour commencer, nous nous sommes placés sur nos pauvres affaires – moi sur mon sac à dos, dont j’ai retiré mon fameux pardessus –, qui devaient servir à mieux nous installer. Le temps passant, nous nous sommes évidemment retrouvés avec nos affaires bien en désordre. 

Près de moi, maman, assise, le dos appuyé contre la paroi du wagon, tenait la main de ma sœur Magda, complètement désorientée et qui somnolait la tête sur l’épaule de ma mère. Papa était de l’autre côté de ma sœur. 

Des heures passèrent avant que le train ne s’ébranle. À partir du milieu de la journée, la chaleur devint de plus en plus pénible. Chacun essayait de se débarrasser d’une partie de ses vêtements. Le matin, je retirai ma veste, puis ce fut le tour de ma chemise, mes chaussures et enfin mes chaussettes. Mais, même ainsi, cela était pénible. Rapidement, il n’est plus resté d’eau. Dans l’après-midi, on entendit les enfants pleurnicher et réclamer à boire. Pendant les trois jours qui suivirent, cela n’a pas cessé.

Une longue nuit a commencé. Le matin, après une très grande hésitation, j’ai fini par dire à mes parents que j’avais absolument besoin d’uriner. Le seau destiné à cet usage se trouvait à l’opposé du wagon. Je me suis mis debout et j’ai essayé d’avancer dans cette direction. En enjambant les gens, j’avançais péniblement. Et voilà que j’entends dire que le seau est rempli à ras bord. À ce moment, je constate en passant près de la porte que celle-ci n’est pas hermétiquement fermée. Une fente de près d’un centimètre laisse passer le jour. Je m’en approche, rassuré, mais je ne comprends pas pour quelle raison je n’arrive pas à uriner. Combien de temps suis-je resté là debout, désappointé, nerveux, peut-être même honteux ? Il m’a semblé que cela avait duré longtemps et que, derrière, tout le monde me regardait. J’ai fini par réussir à me soulager, mais comment faisaient les autres ? 

Un peu plus tard, nous nous sommes arrêtés dans une grande gare, celle de Kassa (aujourd’hui Kosice, en Slovaquie). Nous étions dans ce train depuis à peu près vingt-quatre heures. À un moment, la porte du wagon s’ouvre. Des gendarmes hongrois. Des gens dans le wagon réclament de l’eau. Les gendarmes répondent : 
– Vous, les Juifs, vous êtes riches, vous avez de l’argent, des bijoux. Si vous voulez boire, il faut payer. 

Quelques minutes plus tard en effet, deux ou trois alliances et un stylo plume firent l’affaire. 

Deux jeunes femmes purent descendre. Pour commencer, elles supplièrent les gendarmes de pouvoir vider le seau hygiénique plein. Peu après, elles revinrent avec le seau vide et allèrent remplir le seau d’eau pour boire. Elles revinrent en pleurs. Les gendarmes ne les avaient laissées remplir le seau qu’à moitié. Comme l’une d’elles protestait, un gendarme n’a pas hésité à la taper avec la crosse de son fusil en disant : « Ça va comme ça, votre convoi part immédiatement ! ».

Le matin même, avant notre arrivée à Kassa, j’avais fait une découverte : une fente dans la paroi du wagon, juste au niveau de mon épaule. Cette fente était minime mais il y avait un minuscule trou, à peine plus grand qu’un petit pois. Assez grand toutefois pour qu’en collant mon œil contre ce trou je puisse distinguer, du moins en partie, les paysages de ce mois de juin. C’était le début de l’été. Le soleil, l’herbe verte, les arbres, les vaches avec les jeunes gardiens ; ce paysage paisible contrastait tellement avec ce qui se déroulait à l’intérieur du wagon que je commençais à douter de la réalité même de ce que je voyais. Une sorte d’incrédulité m’empoigna sur ce qui s’était passé autour de moi depuis quelques semaines, ce monde, le mien, dont j’avais été expulsé et qui était encore tout proche. 

Le deuxième soir arriva. Notre abattement, l’incertitude du but de notre voyage, la longue, très longue attente, l’immobilisation sur les voies, la chaleur de l’après-midi nous ont complètement assommés, anéantis. 

La nuit, je fus réveillé par un cri perçant poussé par ma voisine. Elle m’explique qu’elle a senti quelque chose qui l’a piquée sur son épaule. Ce quelque chose, en fait, c’était mon crâne, fraîchement tondu d’à peine trois jours. Je m’en suis excusé en disant que j’étais sincèrement désolé. Sa réponse fut d’une extrême gentillesse : 

– Vous n’avez pas à vous excuser, me dit-elle. Que ma brusque réaction ne vous empêche pas de dormir comme il vous convient le mieux. 

Cet incident eut comme résultat que j’ai gardé en mémoire le nom des sœurs Straussmann. Les deux sœurs à ma gauche étaient âgées de vingt/vingt-deux ans. C’étaient les filles de David Straussmann, le menuisier. Sa menuiserie était installée au fond de la cour, au numéro 14 de la rue Béthlen, où nous occupions l’appartement sur rue jusqu’en 1933 et où je suis né. J’ai toujours espéré qu’elles étaient restées en vie. 

Par mon trou, je remarquais le changement de paysage. Parfois le train grimpait en ralentissant. Je constatais que nous étions en montagne. Des paysages sévères se succédaient. Natif du grand Alföld hongrois, j’arrivais, me semblait-il, dans un monde inconnu. 

Le dernier jour fut des plus pénibles. Je souhaitais de tout mon être arriver enfin. Je n’en pouvais plus. Mes parents m’étonnaient. Ils ne bougeaient pratiquement pas. Mon père, asthmatique, n’eut aucune crise dans ce wagon. Mais il était tassé sur lui-même, presque immobile. Ma mère s’occupait constamment de ma sœur Magda. 

Le train s’arrêtait, repartait. Voilà qu’il s’arrêtait de nouveau. C’était encore la nuit, mais à travers la lucarne, une lumière inhabituelle me réveilla. Je n’étais pas le seul. Quelqu’un prononça brusquement : « Nous sommes peut-être arrivés à destination. » En effet, c’était la destination mais nous n’en savions rien. 

Retrouvez toutes les lectures d’extraits de la collection “Témoignages de la Shoah” ainsi que les autres articles de ce hors-série.

Rachel Khan lit Élisabeth Kasza

Élisabeth Kazsa, 20 ans lors de sa déportation
Déportée du ghetto de Kaposvár à Auschwitz-Birkenau en mai 1944

 

Julianna Erzébet Kasza naît le 9 mais 1924 en Hongrie dans une famille protestante luthérienne d’origine juive.
À la mi-mai 1944, elle est déportée avec sa famille du ghetto de Kaposvár vers Auschwitz-Birkenau où son père meurt en juin. En août, elle est séparée de sa mère qui est sélectionnée pour être gazée. En septembre, elle est transféré à Bergen-Belsen puis à Duderstadt pour travailler dans une usine d’armement. En avril 1945, elle est transférée dans le camp de Theresienstadt, camp tchèque ouvert par les Soviétiques le 8 mai. En 1949, elle arrive en France après être passée par la Hongrie et l’Autriche, elle y rencontre son mari. Après une carrière de comédienne, elle meurt à Paris le 4 janvier 2004.

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