Une histoire exemplaire

Depuis 1997, “Yad Layeled France – L’enfant et la Shoah” aide les enseignants à appréhender l’histoire de la Shoah avec les élèves de CM2. Cette association est la petite sœur française de la Maison des combattants des ghettos, Beit Lohamei Haghetaot, premier lieu de mémoire de la Shoah créé en Israël il y a presque 70 ans.

Dans les années 2000, Yad Layeled France adapte le matériel israélien pour les enfants des écoles françaises, avec un but : fournir autant que possible aux enseignants d’école élémentaire un matériel « clé en main », facile à utiliser, permettant aux élèves de s’impliquer activement dans leur apprentissage et aux professeurs d’envisager un enseignement transversal en histoire, français, enseignement civique et moral, voire en mathématiques.

Tenou’a a rencontré la directrice de l’Association, Galith Touati, et deux enseignants, Maryline, professeur des écoles en CM2 dans le 17e arrondissement et Laurent, directeur d’une école élémentaire dans le 19e arrondissement. Tous deux et une autre institutrice, Emmanuelle, sont membres actifs et coordinateurs pédagogiques de Yad Layeled France. Ces enseignants, également, ont pu éprouver dans leur pratique professionnelle, tous les apports de ce type de pédagogie. Leur retour d’expérience et leur expertise permettent à l’association de faire évoluer le matériel pédagogique pour toujours plus de pertinence.

L’enseignement de l’histoire de la Shoah, s’il est encouragé par le programme, peut aisément n’être que survolé en CM2, selon Maryline. « Les manuels scolaires sont mieux faits aujourd’hui concernant la Shoah que lorsque j’étais enfant mais, pour autant, on ne peut pas construire un enseignement à partir de cette seule matière », explique-t-elle, ajoutant que, l’histoire étant étudiée chronologiquement, la Seconde Guerre mondiale est enseignée en toute fin d’année de CM2, lorsque les élèves ont déjà la tête au collège.

Lorsqu’un enseignant a bénéficié des formations de Yad Layeled, qu’il a utilisé la mallette pédagogique ou fait venir l’une des expositions (Sur les traces d’une photo ou Enfants juifs à Paris, 1939-1945), il nourrit en retour l’équipe de bénévoles de ses expériences. « C’est très important pour nous, explique Galith, sans les enseignants, nous ne pourrions pas nous développer. »

Pour Laurent, l’histoire de la Shoah est exemplaire à bien des égards. Lorsque les élèves rencontrent un ancien enfant caché qui vient témoigner, ils entendent l’histoire vécue à hauteur d’enfant. « Ce n’est pas de l’histoire abstraite, affirme le directeur. Cela les amène à prendre conscience que l’histoire peut avoir un impact dans leur vie, qu’ils peuvent et doivent être des acteurs de l’histoire et pas seulement des spectateurs. » Cette éducation à la citoyenneté, que Galith et Laurent qualifient même de « leçon de morale », doit « éviter tout effet de sidération », insiste Maryline. « Il ne faut pas leur demander de s’identifier aux victimes, insiste Galith, mais bien de comprendre queles identités sont complexes, multiples, et à quel point une société qui met à la marge une catégorie de population est une société qui dysfonctionne, qui faillit à sa mission. »

Souvent, la première question des enfants est « Pourquoi les Juifs? », question qui sous-entend, selon Galith, une question qu’ils osent moins poser : « Qu’ont fait les Juifs pour qu’on les persécute? ». Galith et les professeurs abordent alors avec les élèves la question des préjugés, celle du racisme ou encore du bouc émissaire, « celui qui énerve tout le monde mais dont plus personne ne sait pourquoi, celui qu’on tient pour responsable de tous les malheurs ». Cela parle aux enfants parce que ce sont des situations qu’ils connaissent.

« Les Juifs, ils ne savent pas ce que c’est, précise Laurent. Pour eux, ce sont d’abord des gens qui ne sont pas à l’école, qui vont à l’école privée (ça fait longtemps que nous n’avons quasiment plus d’élèves juifs dans les écoles publiques du 19e arrondissement), ce sont les orthodoxes, facilement identifiables, qu’ils voient dans le quartier. Mais il est très difficile pour eux de définir l’identité. »

Alors, lorsque l’an passé, il a travaillé avec ses élèves sur des caricatures antisémites, il a pu leur montrer l’absurdité du cliché raciste : « Les Juifs sont tout autant dépeints comme riches et puissants que comme de pauvres hères dépenaillés qui s’immiscent partout. En constatant que l’antisémitisme est un racisme multiforme, ils comprennent que ça ne tient pas debout ».

Les effets sont parfois rapides, comme ces enfants d’une classe dans laquelle existait un « réel clivage social et religieux » qui expliquent à leur enseignante, Maryline, à l’issue d’une de ces séances que, finalement, ils vont inviter ces « autres » de la classe à leur anniversaire. « Enfin, précisent-ils, si ma mère est d’accord. »

L’espoir des enseignants est également de battre en brèche certains comportements avant l’arrivée de la préadolescence. « Il faut avoir conscience que la Shoah est devenue un objet de dérision dans certains milieux qui ne sont pas étrangers à nos élèves, déplore Laurent. Alors leur faire connaître cette histoire qui a eu lieu dans nos rues, dans nos immeubles, cette histoire si importante en Europe, est fondamental. Et comme en plus ça se passe à l’école, ça donne un poids à cette connaissance. Un poids d’autant plus important que les élèves ont un rôle actif dans cet apprentissage. »

Antoine Strobel-Dahan

Le matériel pédagogique est disponible auprès de Yad Layeled – L’enfant et la Shoah, sur le site internet de l’association : www.lenfantetlashoah.org. Renseignements au 0145242036 ou à info@lenfantetlashoah.org

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