1945 : SE RECONSTRUIRE

“Je porte en moi tous les morts de cette terrible histoire, et je ne peux rien oublier. Je me sens comme le dibbouk, habitée par ceux que j’aime, et cela m’aide à vivre.”*

Comme il a été dit pour tous les enfants cachés, « leur vraie guerre » commence après la guerre. L’attente au Lutetia pour les plus grands. L’attente continuelle des coups de téléphone dans les maisons d’enfants, pour les autres, mais aussi les déchirements lorsque l’on ne reconnaît plus l’un des parents qui revient.

À la fin de l’année 1945, l’OSE est en capacité d’ouvrir 25 maisons pour plusieurs milliers d’enfants : chiffre impressionnant1, témoignant de l’importance de cette entreprise de sauvetage dont elles sont le prolongement. Ces enfants, dont les parents avaient été déportés en tant que Juifs, doivent le rester : tel est l’adage du judaïsme européen. On est frappé par cette volonté commune qui transcende les idéologies et que l’on retrouve dans toutes les communautés d’Europe occidentale et au sein de toutes les organisations. Les effectifs de ces maisons diminuent, car nombre de ces enfants retrouvent de la famille proche ou lointaine. De plus, à partir de 1948, l’American Jewish Joint Distribution Committee (AJJDC), leur principal pourvoyeur de fonds, n’accepte plus de financer ni les enfants ayant un parent, ni ceux de plus de 18 ans. Or l’OSE est une oeuvre sociale qui accueille non seulement des orphelins, mais aussi des enfants dont le ou les parents sont dans une situation précaire.
Substitut social du foyer familial, ces maisons ont eu l’ambition de recréer une ambiance où ces enfants pourraient grandir et être élevés comme leurs parents l’auraient souhaité. Des liens très forts se sont noués entre eux et la qualité de ces liens a souvent résisté au temps.

En écoutant ces enfants parler avec émotion ou rancoeur de leur petite madeleine, en les écoutant défendre leurs éducateurs et leur maison qu’ils vivent encore comme unique, on réalise l’immense travail accompli : avoir su créer ou recréer une identité.

REVIVRE, APPRENDRE, GRANDIR, VIVRE UNE VIE JUIVE

Revivre
Tous les enfants juifs ont employé ce terme en sortant de leurs cachettes. Mais pour les plus jeunes, certaines collectivités furent des lieux magiques, embellis par les souvenirs.

Grandir
Pour d’autres, les maisons furent des collectivités où ils ont simplement grandi avec plus ou moins de bonheur, pour certaines avec des méthodes d’éducation nouvelles.

Apprendre
Reconstituer une élite juive et donner les moyens d’avoir un bon métier pour s’en sortir, tels étaient les objectifs de l’OSE pour des enfants dont l’instruction avait été brutalement interrompue par la guerre.

Vivre une vie juive
Les maisons de stricte observance posent la question de l’identité juive et des différentes options de l’organisation : vivre une vie juive ou donner une instruction religieuse et un sentiment d’appartenance ? Les deux formules coexistent et différencient les maisons laïques des maisons religieuses.

Enfin, ces maisons ont absorbé des strates d’enfants d’origine très différente. Les Buchenwaldiens sont de jeunes déportés qui ont connu les camps ; les enfants cachés ont d’autres traumatismes, enkystés, d’autant plus douloureux qu’ils sont tus.
L’organisation a dû s’adapter avec plus ou moins de bonheur à ces cohortes d’enfants, à leurs blessures indicibles.

Car tous ont été malmenés, ballottés dans ce jeu dramatique de la traque et de la cache. Ils portent tous en eux le poids de la guerre et celui des morts, mais ce sont avant tout des enfants, les enfants de l’OSE.

* Thérèse Barbanel a 11 ans et demi, le 15 juillet 1941, lorsque l’on vient arrêter toute sa famille réfugiée de Moselle en Gironde, pour être internée au camp de concentration de Poitiers. Les trois soeurs, Félicia, Thérèse-Topcia et Rosette sont arrêtées à trois reprises. Elles sont ensuite placées dans les maisons de l’UGIF de la région parisienne et deviennent des enfants bloquées. Leur père réussit à les amener à Chalut, en Haute-Vienne, et les confie à l’OSE. Elles sont cachées à Egleton, chez des religieuses par Pauline Gaudefroy et le réseau Garel.
1. On dénombre 12 maisons à l’OPEJ (sionistes), 10 chez les Juifs communistes (dont Le Renouveau), 4 chez les Eclaireurs israélites de France, 3 à la Colonie scolaire (dont le foyer David Rapoport à La Varenne, qui comprend 4 pavillons) et 6 maisons d’associations orthodoxes.
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  • Alexandre Doulut & Sandrine Labeau

HERTZ GOTFRYD – L’ESPOIR DE LA ZONE LIBRE

HERTZ GOTFRYD quitte la Pologne pour la France en 1930, à l’âge de 29 ans. Il s’installe à Paris et, lorsqu’éclate la guerre, est incorporé à Auxerre. Recensé comme Juif à Paris après l’Armistice, il passe clandestinement en zone libre à la toute fin de l’année 1941. Assigné à résidence par le préfet du Lot-et-Garonne, il intègre les effectifs de l’usine Lafarge en juillet 1942. Épargné par deux rafles en août 1942 et février 1943, il finit par être arrêté le 9 septembre 1943 et interné au camp de Noé en dépit des protestations de son employeur (voir page 50). Après un passage par Martigues, il est transféré à Drancy en avril 1944, où il reste un mois avant sa déportation par le convoi 73 vers les pays baltes où il est assassiné.

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