Le Lab 8 femmes pour le 8 mars

Rachel Félix, La tragédienne (1821-1858)

© Odélia Kammoun

Rachel Félix naît dans une famille pauvre. Son père, un juif alsacien, colporteur ambulant, impose à son épouse comme à ses enfants une vie de nomade. En 1831, sa famille, toujours aussi miséreuse, se pose à Paris. Après un court passage au Conservatoire, elle monte sur la scène du théâtre du Gymnase. À 17 ans, elle rejoint la Comédie-Française et enchaîne les rôles de tragédiennes classiques. Sa présence magnétise, comme en témoigne la critique de Gustave Flaubert : “Les plus rustres se sont sentis émus, les plus grossiers étaient touchés, les femmes applaudissaient dans les loges, le parterre battait de ses mains sans gants, la salle trépignait”. Pour la communauté juive de son époque, elle a pu servir de rôle modèle : sa trajectoire a montré qu’il était possible de réussir sans se convertir.  

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Gertrude Stein, L’esthète (1874-1946) 

© Odélia Kammoun

Gertrude Stein naît en Pennsylvanie dans une famille juive d’origine allemande. En 1893, elle étudie la philosophie et la psychologie à Radcliffe, l’équivalent féminin de Harvard. En 1904, après avoir tenté des études de médecine à Baltimore, elle rejoint son frère tout juste installé à Paris. Ensemble, ils emménagent rue Fleurus et commencent à acquérir des toiles d’artistes du quartier de Montparnasse comme Toulouse-Lautrec, Gauguin, Cézanne, Matisse, Picasso. En 1914, Gertrude Stein et Alice B. Toklas, sa partenaire, participent à l’effort de guerre en assurant l’approvisionnement d’hôpitaux et en transportant des blessés. Au lendemain de la guerre, Gertrude Stein délaisse les cubistes pour s’intéresser à des peintres émergents (et moins chers) comme Picabia ou Gris. En 1933, elle publie Autobiographie d’Alice Toklas, un récit qui adopte le point de vue de sa compagne et qui raconte les coulisses de son travail de collectionneuse. Son livre se vend comme des petits pains aux États-Unis.

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Hedy Lamarr, l’actrice-inventrice
(1914-2000)

© Odélia Kammoun

Star de cinéma ou inventrice de génie : pourquoi choisir ? Le parcours d’Hedy Lamarr offre la preuve éclatante que, dans la vie, il ne faut jamais imposer de limites à l’expression de ses talents ! Née Hedwig Kiesler à Vienne en 1914, Hedy Lamarr se lance très tôt dans le cinéma. À 16 ans, elle joue déjà dans ses premiers films. En 1937, elle émigre aux États-Unis, où elle devient presque immédiatement une vedette hollywoodienne. Sa beauté époustouflante fait d’elle une icône, l’incarnation même du glamour, adulée par une foule d’admirateurs parmi lesquels John F. Kennedy, le milliardaire Howards Hughes ou encore Charlie Chaplin.

Mais derrière la femme fatale se cache une véritable Géo Trouvetou ! Passionnée de bricolage depuis l’enfance, elle n’eut de cesse d’imaginer et de prototyper des innovations tout au long de sa vie. Son invention la plus célèbre ? L’étalement de spectre par saut de fréquence, un principe de transmission des signaux garantissant leur indétectabilité. Conçu avec son ami le compositeur George Antheil en 1941 dans l’objectif de protéger les bateaux de la Navy du torpillage, ce système est encore aujourd’hui utilisé dans les techniques Wi-Fi, Bluetooth et GPS. Incredible Hedy !

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Ruth Bader Ginsburg (1933-2020)

Juge de la Cour suprême américaine de 1993 jusqu’à sa mort en 2020, Ruth Bader Ginsburg fut pourtant et demeure bien plus que cela. Ses prises de positions libérales (par exemple en faveur du droit à l’avortement) en ont fait une véritable icône de la pop culture, parfois surnommée The Notorious R.B.G. (référence au rappeur The Notorious B.I.G.)

Elle lutta toute sa vie contre les discriminations, notamment basées sur le genre. Elle-même en avait fait les frais : à l’âge de 12 ans, le refus qui lui fut fait de lire dans la Torah à l’occasion de sa bat-mitsva la révolta. Plus tard, elle se heurta au sexisme au sein même de la faculté de droit de Harvard, dont le doyen lui demanda (ainsi qu’à ses huit autres camarades femmes) pourquoi elles avaient cru bon de s’inscrire, prenant ainsi la place qui aurait dû revenir à un homme.

Ses secrets pour ne pas baisser les bras face à l’injustice : un mari qui fut toujours un soutien dévoué, et des valeurs morales profondément ancrées. Bien que n’étant pas pratiquante, Ruth Bader Ginsburg puisait en partie ces valeurs dans son identité juive. Dans son bureau était ainsi affiché le verset du Deutéronome clamant Tsedek, tsedek tirdof : « La justice, la justice tu poursuivras ».

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Gracia Nassi, banquière et diplomate (1510-1569)

© Odélia Kammoun

Une femme à la tête d’un immense empire financier, prêtant aux rois et aux sultans, jouant un rôle diplomatique de premier plan… le tout au XVIème siècle ? Vous avez bien lu ! Il s’agit là du destin exceptionnel de Gracia Nassi.

Née à Lisbonne en 1510 dans une famille de marranes, elle se retrouve à 26 ans veuve du propriétaire de l’une des plus grandes banques du monde, la banque Mendès. C’est alors elle qui reprend les affaires ! Elle s’installe à Anvers, puis à Venise, Ferrare, et enfin Constantinople. Partout où elle va, elle développe les activités de la banque et prête aux seigneurs. Mais sa fortune fait bien des envieux et la met en danger : à Anvers, l’empereur Charles Quint lui-même tente de saisir ses biens, et à Venise, elle se fait arrêter et emprisonner pendant deux ans en tant que crypto-juive.

À Constantinople, où elle finit par poser ses valises, lle sultan Soliman le Magnifique l’accueille à bras ouverts. De là, elle vient en aide aux conversos en finançant synagogues, yeshivot et bibliothèques afin de permettre à ses coreligionnaires forcés à la conversion de renouer avec leur identité juive. En 1556, elle intervient carrément auprès du pape pour faire libérer des Juifs d’Ancône condamnés à mort pour refuser de se faire baptiser.

Son action en faveur des Juifs persécutés lui valut une immense popularité auprès d’eux, et un surnom à l’éloquente  simplicité: La Señora (La Dame)

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Regina Jonas, la pionnière 
(1902-1944)

© Odélia Kammoun

Avant que les femmes rabbins ne se comptent par milliersil en fallut bien une première, une toute première. Ce fut Regina Jonas.

Née à Berlin en 1902, elle y grandit et y suivit le séminaire rabbinique de l’Institut Supérieur d’Études Juives. Son sujet de thèse : « Une femme peut-elle être rabbin selon la Loi juive ? » Après 88 pages de démonstration, sources bibliques, talmudiques et rabbiniques à l’appui, elle conclut que oui ! Ce n’est toutefois que 5 ans après la fin de ses études, en 1935, qu’un rabbin, Max Dienemann, consentit à l’ordonner.

Dans un contexte de montée des persécutions nazies, elle passa ses premières années de rabbinat à voyager à travers l’Allemagne, pour accompagner des communautés dont les rabbins avaient fui. Elle-même fut déportée au camp de Theresienstadt en 1942, puis à Auschwitz, où elle mourut assassinée en 1944.

Longtemps tombée dans l’oubli, son existence fut redécouverte par une historienne israélienne dans les années 1990, après la chute du Mur de Berlin et l’ouverture des archives d’Allemagne de l’Est. 

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Emma Goldman, l’anarchiste
(1869-1940)

© Odélia Kammoun

Emma Goldman était une figure majeure du mouvement anarchiste du début du XXème siècle. Née en 1869 en Lituanie dans une famille juive orthodoxe, elle passa son enfance et son adolescence à s’opposer à un père rigide et violent. Émigrée à New-York à l’âge de 16 ans, elle s’y lia très vite à des groupes de militants socialistes, syndicalistes et anarchistes.

Considérée à son époque comme la « femme la plus dangereuse des États-Unis » par le gouvernement américain, elle défendit ardemment toute sa vie durant les droits des travailleurs et la liberté d’expression, mais aussi la liberté sexuelle, les droits reproductifs, l’égalité et l’indépendance des femmes. 

Dans de nombreux essais et articles, elle développe une pensée féministe incroyablement moderne, pour laquelle le combat féministe ne doit pas s’arrêter à l’égalité formelle mais bien viser la liberté réelle : celle, pour chaque femme, de vivre une vie choisie.

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Marianne Cohn, poétesse et résistante
(1922-1944)

© Odélia Kammoun

Quand on évoque les héros de la Résistance, on pense souvent à Charles de Gaulle ou Jean Moulin. Mais les rangs de la Résistance furent également peuplés de femmes, et notamment de femmes juives. Marianne Cohn est l’une d’entre elles.

Née en 1922 dans une famille juive allemande assimilée, elle fuit l’Allemagne avec ses parents et sa sœur en 1934, pour s’installer d’abord à Barcelone, puis, après la défaite des républicains espagnols, à Paris.

En France, elle découvre les Éclaireurs israélites et rejoint le Mouvement de jeunesse sioniste. Sa participation à ces groupes l’amène à s’engager dans la Résistance, et à partir de 1942, elle fait passer chaque semaine des dizaines d’enfants juifs en Suisse. C’est lors de l’une de ces sorties qu’elle se fait arrêter et incarcérer. Son réseau lui propose d’organiser son évasion, mais elle refuse, craignant des représailles sur les enfants arrêtés avec elle.

Elle est assassinée par la Gestapo en 1944, à l’âge de 22 ans, après avoir subi des tortures qu’elle évoque dans un célèbre poème, Je trahirai demain :

Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.

Textes de Anna Klarsfeld et Léa Taieb – Dessins de Odélia Kammoun
Pour Le Lab Tenou’a