À l’école de l’égalité

Les enfants forment leurs premières représentations sociales à la maison, mais aussi à l’école. Dans un ouvrage paru récemment aux États-Unis*, deux chercheuses, Chaya Gorsetman et Elana Sztokman publient les résultats de la vaste enquête sociologique qu’elles ont menée dans des écoles juives américaines. Elles concluent que, globalement, dans les écoles orthodoxes, y compris modern-orthodoxes, l’enseignement peut être résumé ainsi : « Le Talmud pour les garçons, la préparation du pain de shabbat pour les filles ».

 

Tenou’a a voulu interroger la directrice de la seule école juive « moderne » de France sur son expérience actuelle et celle de ses quinze années passées dans l’enseignement juif « traditionnel ».

Questions à Josée Vaisbrot, directrice de l’École juive moderne à Paris

Existe-t-il un problème d’égalité entre filles et garçons dans les écoles juives en général? À ma connaissance, dans certaines écoles juives traditionnelles, principalement celles de l’Alliance, la mishna est accessible aux filles à partir du collège. Mais dans la majorité des écoles juives, tout ce qui est loi orale, mishna et Talmud, est plutôt réservé aux garçons.

Et chez vous, à l’École Juive Moderne ?

Nous n’enseignons pas la mishna parce que nous nous arrêtons à la fin du primaire. Mais depuis la toute petite section, nous évitons de confiner les enfants dans des rôles, de les stigmatiser : allumage des bougies pour les filles, qiddush pour les garçons. Chez nous, les filles peuvent animer la tefila, en prendre la responsabilité, être hazan autant que les garçons. Les garçons sont associés aussi aux ateliers de couture ou de cuisine, lorsqu’on apprend à faire des hallot par exemple. Notre établissement est né à l’initiative des communautés libérales et massorti de Paris, des communautés dans lesquelles les filles ont une place importante et égalitaire. Et nous sommes en adéquation avec les valeurs de ces communautés. Donc, chez nous, la base est égalitaire et ensuite nous travaillons en fonction des compétences de chacun pour que chaque élève puisse s’épanouir, mais sans lien avec le fait qu’il s’agisse d’une fille ou d’un garçon.

Cela empêche-t-il des familles plus orthodoxes de scolariser leurs enfants chez vous ?

Nous avons défini un minimum commun en termes de pratiques, quant à la casherout et aux jours chômés notamment, qui permet aux familles orthodoxes modernes de se sentir à l’aise chez nous. Mais le problème de l’égalité ne se pose pas encore vraiment car nos élèves sont jeunes, pas encore adolescents. La question se pose sûrement davantage sur la continuité, sur le choix de l’établissement qui accueillera les enfants au collège.

L’école juive est-elle plus inégalitaire que l’école publique ?

Mon expérience d’enseignante dans les écoles juives traditionnelles m’a montré que les filles y sont beaucoup moins à l’aise avec leur corps. C’est un défi pour une école juive, y compris pour nous, de réussir à offrir tout l’enseignement spécifique sans réduire les enseignements artistiques et sportifs. Il me semble très important que les filles soient bien dans leur corps, aient développé l’aspect moteur. Et il est important aussi que tous, garçons et filles, puissent avoir un accès égal et qualitatif au texte pour pouvoir réfléchir.

* Chaya Rosenfeld Gorsetman & Elana Maryles Sztokman, Educating in the Divine Image: Gender Issues in Orthodox Jewish Day School, Brandeis University Press, 2013