Le Lab Anshel Pfeffer: “la situation en Israël est vraiment toxique”

Vous êtes un journaliste expérimenté, vous vivez en Israël depuis très longtemps, avez fait votre armée, étudié dans une yeshiva en Cisjordanie, autrement dit vous connaissez très bien Israël, ses tensions et ses défis. Dans une tribune publiée récemment dans Haaretz (article payant), vous écrivez que la haine qui sévit aujourd’hui au sein de la population juive israélienne est pire qu’à l’époque des accords d’Oslo et de l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Il me semble qu’à cette période, au début des années quatre-vingt-dix, une partie des Israéliens pensait que les projets du gouvernement menaçaient leur vision du Grand Israël, qu’ils perdraient cette possibilité si Israël s’engageait dans une relation plus apaisée avec les Palestiniens et qu’il en serait fini du projet des colons. Mais cela ne concernait, je crois, qu’une partie relativement réduite de la population israélienne. Aujourd’hui, nous parlons d’enjeux que la plupart des Israéliens ressentent comme cruciaux, des deux côtés. Du côté des partisans du gouvernement, il s’agit de reprendre le contrôle du pays à “l’État profond” des élites et de l’establishment. Et dans l’autre camp, il y a ce sentiment que la démocratie israélienne est sur le point de s’éteindre pour laisser la place à une dictature théocratique. Donc il me semble en effet qu’en comparaison des années quatre-vingt-dix, il y a bien plus de gens aujourd’hui qui sont investis dans ce qui se passe. Près de la moitié du pays a le sentiment que la démocratie est en train de lui être volée par l’autre moitié, donc ça me semble beaucoup plus gros qu’à l’époque.

J’entends bien mais pour autant, il n’y a pas eu de violence politique ces derniers mois, pas d’assassinat comme celui de Rabin en 1995, heureusement…

Attention, Yitzhak Rabin a été assassiné plus de deux ans après le début du processus d’Oslo. Le processus actuel n’est vieux que de 6 mois. J’espère qu’il n’y aura pas de violence et je ne parlais pas ici de violence mais de toute cette haine qui, elle, s’exprime de façon plus forte qu’à l’époque. 

Vu de l’extérieur, on a toujours l’impression que le problème principal en Israël est lié à la question palestinienne. Mais dans ce moment politique, la question palestinienne semble bien peu concernée… Qu’est-ce qui est en jeu ici ? L’identité même de l’État ? ou ce que cela signifie que d’être une État juif ? ou d’être un Juif en Israël ?

Tout ça, l’enjeu c’est tout ça. En fait la question palestinienne est aussi un des éléments de cette crise parce que le camp religieux est aussi souvent celui des colons, c’est un élément, pas le principal mais c’en est un, comme il y a un élément religieux, mais le principal, c’est surtout la question de l’intervention de la Cour suprême dans le processus législatif, et celle du procès de Benjamin Nétanyahou. 

Est-ce pour cela que vous dites que ce ne sont pas tant les aspects techniques du projet de réforme de la justice qui posent question ?

Oui, parce que c’est bien plus gros que ces seuls aspects techniques, même s’ils ont leur importance. Il s’agit d’un sentiment bien plus général. 

Votre tribune s’achève de façon assez pessimiste. Qu’imaginez-vous pour l’avenir d’Israël ? Avez-vous tout de même l’espoir que cette crise se résolve pacifiquement ?

Je suis plutôt optimiste quant à la capacité de la société israélienne à sortir de cette crise et à conserver la démocratie que nous avons aujourd’hui. Mais en ce moment, la situation est vraiment très toxique et atteint un niveau particulièrement dangereux. 

La diaspora juive a-t-elle ou devrait-elle avoir quelque rôle que ce soit à jouer dans cette crise ?

On entend de nombreux Juifs de la Diaspora s’exprimer et prendre parti. Mais finalement, il s’agit d’affaires internes israéliennes dans lesquelles la Diaspora n’a qu’un rôle minime à jouer; je ne crois pas qu’elle changera quoi que ce soit. 

  • Julia Lasry
  • Marie Levy

Le Lab Théâtre: “Le corps des autres”

Marie Levy a 30 ans, elle est parisienne, metteuse en scène et comédienne. Cet été, elle est au festival d’Avignon, bravant la canicule, pancarte au bras, en compagnie de sa troupe pour présenter son spectacle, Le Corps des Autres, adapté du texte éponyme d’Ivan Jablonka.

À première vue, on s’attend à un spectacle féministe générationnel, porté par des femmes, pour dénoncer les diktats de l’industrie de la beauté, à toutes les échelles. Et ce serait déjà très bien. Mais c’est un peu mieux que ça.

Pour Tenou’a, Julia Lasry l’a rencontrée, dans la cour du café en face du théâtre où se joue le spectacle.

 

7 min. de lecture