Bat mitsva à 74 ans

Se réapproprier un rite pour la transmission familiale

© Gideon Rubin, Red Shirt, 2018 – gideonrubin.com

Je ne m’attendais pas à être émue comme ça ! », me confie Colette Lewiner trois semaines après avoir célébré sa bat mitsva, à l’âge de 74 ans. Normalienne, agrégée de physique et docteur ès sciences, Colette Lewiner a mené une carrière assez exceptionnelle. Après six années dans le monde de la recherche, elle entre chez EDF où, en 1989, elle devient la première femme nommée en tant que Directeur. Puis elle sera pendant six ans Président-Directeur Général d’une société d’ingénierie nucléaire avant de rejoindre d’autres groupes. Aujourd’hui retraitée, elle reste très active en tant que consultante et administratrice de plusieurs grandes entreprises. Mais, malgré tous ces accomplissements, Colette avait toujours le sentiment d’un manque : « J’ai toujours souffert de ne pas bien connaître ma religion. Je n’ai pas eu l’occasion d’apprendre quand j’étais jeune, explique-t-elle. Mes grands-parents étaient religieux, mes parents pas beaucoup, j’ai essayé de transmettre à mes enfants qui, eux-mêmes, ont transmis à leurs propres enfants mais, dans cette chaîne, je veux tenir ma place, je veux que ce maillon soit solide. »

Née en Égypte, Colette arrive en France au moment de la crise du canal de Suez. Elle est alors âgée de 11 ans. Sa famille doit tout reconstruire et sa bat mitsva n’est alors pas une priorité : « En tant que fille, la question ne s’est de toute façon pas posée ». Elle se souvient que son père était très impliqué dans la communauté. « J’ai eu une vague éducation religieuse. Nous faisions les fêtes mais nous n’étions pas vraiment religieux. »

Colette et son mari décident de donner une éducation religieuse à leurs trois enfants. Leurs deux filles et leur fils célèbrent leur bat et bar mitsva au MJLF et, sur leurs dix petits-enfants, les trois aînées ont déjà célébré leur bat mitsva. À chaque bat mitsva, raconte Colette, son fils la taquinait : « Et toi, quand est-ce que tu fais ta bat mitsva ? ». Il explique maintenant qu’il ressentait chez elle cette envie dont elle n’avait pas conscience. Mais c’est surtout à la mort de sa propre mère, il y a un peu plus d’un an, que l’idée s’est cristallisée pour elle : « Quand ma mère est décédée, j’ai beaucoup souffert du fait que je ne savais rien, je ne pouvais lire aucune prière ni dire le Kaddish. Tous les soirs, pendant la Shiva, je lisais le Kaddish en phonétique mais, même en phonétique, je le lisais tellement mal! J’avais honte de moi, je me suis retrouvée comme une idiote. »

Peu avant la célébration de sa bat mitsva, Colette s’est rendue sur la tombe de sa mère pour l’anniversaire du décès, et elle a pu dire le Kaddish : « Je l’avais appris et j’étais très contente de pouvoir le faire. Je me suis libérée de cette honte que j’avais de ne pas savoir lire. »

Lorsque mûrit l’idée de célébrer de façon tardive sa bat mitsva, Colette en parle au rabbin Delphine Horvilleur qui, à sa grande surprise, lui propose aussitôt de choisir une date. « On a choisi cette date parce que c’était la plus pratique pour ma fille qui devait venir d’Israël, s’étonne-t-elle encore. Je n’ai découvert que plus tard que c’était précisément la date de mon anniversaire hébraïque ! »

C’est donc décidé, Colette célébrera sa bat mitsva au bout d’une année de formation. Et c’est surtout ce travail de préparation qui est important pour elle : « Ça a été dur ! Je partais d’un niveau pas très élevé pour être honnête mais, pour moi, c’était très important d’apprendre et d’approfondir ». Un cheminement surtout intellectuel donc, mais la dimension religieuse la surprend pendant la célébration : « Au cours de la cérémonie, une émotion est passée, quelque chose de presque mystique, de magique, un côté religieux, inspiré, auquel je ne m’attendais pas ».

Colette travaille avec deux professeurs : Ève pour la liturgie et Abraham pour l’hébreu, les téamim et la pensée juive. Elle est aidée aussi par sa petite-fille Hannah qui vient de célébrer sa majorité religieuse et qui l’accompagnera pour certaines prières pendant la cérémonie, qu’elle conçoit avant tout comme un évènement familial : ses deux petites-filles d’Israël lisent chacune une Alya, les autres chantent des prières… « Je ne voulais pas que ce soit ridicule, avec cette impression que c’est une vieille dame prise d’une lubie de faire sa bat mitsva, et le fait que ce soit un événement familial, que tout le monde soit associé, me semblait bien correspondre au cheminement que j’ai eu. »

La transmission se trouve au cœur de sa démarche, avec ce sentiment inattendu que ses enfants lui transmettent en retour. Et Colette se souvient que le rabbin a pointé avec justesse ce sentiment. Lors de son allocution, Delphine Horvilleur évoque Sarah et le verbe particulier qu’elle utilise en parlant de son désir d’enfant : oulaï ibané, que l’on peut traduire par « peut-être aurai-je un fils » mais aussi par « peut-être serai-je bâtie ». Et le rabbin d’en déduire que les enfants bâtissent leurs parents.

Célébrer sa bat mitsva à 74 ans permet de mettre à profit sa maturité et son expérience. C’est ainsi que sa parasha se retrouve analysée par le biais de la physique quantique : « Je me suis demandé ce que je pouvais apporter à ces textes déjà tellement étudiés et commentés et, comme je suis scientifique, je suis physicienne, je me suis dit : “Essaie de donner un regard scientifique” ». Colette s’est aussi posé la question du positionnement par rapport au rabbin : « J’aurais pu être sa mère et je ne voulais pas trop m’affirmer face à elle, mais je crois que nous avons trouvé le bon équilibre ».

Colette rayonne en me parlant de sa bat mitsva. Elle me dit avoir l’impression de s’être transformée durant tout ce processus. Et elle ne compte pas s’arrêter là : « Je suis très contente d’avoir appris à lire l’hébreu. Je continue avec Abraham des cours d’hébreu moderne ».