COMMENT J’AI ÉPOUSÉ UN ASHKÉNAZE

Qui eut cru que cette jeune fille toute séfarade deviendrait un jour un peu Ashkénaze, apprendrait à en aimer la culture et l’ambiance, tandis qu’un jeune homme tout ashkénaze s’essaierait avec délice à la boutargue, à la boukha et aux youyous ? C’est de l’amour que naissent les plus belles rencontres et les métissages les plus heureux.

© Michael Liani, Rosh, 2019, Gelatin, inkjet, 23.6 x 17.7 inches / 60 x 45 cm
https://michaelliani.com

Papa, et si j’épousais un Ashkénaze?”
“Ma fille, quitte à épouser un étranger, épouse plutôt un Arabe, au moins on se comprendra…”
Ma mère était plus nuancée. Elle, la juive italienne de Carthage, disait souvent que son mariage avec un natif de la Goulette était celui de la carpe et du lapin. Alors un Ashkénaze, ce serait étrange certes, mais socialement acceptable.

Et puis est arrivé Olivier. Olivier Danziger. Fils de Raymond, né à Bucarest, et de Claudie, née Rosenthal. Aïe. Les Ashkénazes aussi ont peur des Séfa- rades je crois.

Réfléchissons. D’abord le présenter à mes frères, un médecin et un normalien, ça devrait le rassurer sur le QI moyen de la famille. Puis, y aller en douceur. D’abord avec lui, déjà fasciné par le nombre de mes cousins germains avant même d’en avoir rencontré le dixième. Notre amour naissant survivra-t-il à un séder à la maison? Le pari est risqué. Je triche un peu chez moi, je planque quelques mains de Fatma qui traînent. Je lui raconte la glorieuse histoire (vraie) de mon aïeul décoré par la reine Victoria, j’en rajoute et je sens que ça le rassure. Aurait-il lui aussi des doutes sur ma possible intégration?

Six mois se passent. Je n’ai pas rencontré ses parents et il n’a pas rencontré les miens. Un jour, nous franchissons le pas. Mon père l’aime à l’instant où il le voit. Oubliées les mises en garde à sa petite tunisienne. Un vrai coup de foudre pour ce gendre exotique, aux mœurs bizarres (“Quoi, tu n’as jamais mangé de boutargue, vraiment?”) mais au sourire irrésistible et au cœur plus grand que le port de Tunis. Quant à mon grand-père Aldo Santillana, italien pur jus, il l’a malicieusement et affectueusement baptisé il Tedesco, “l’Allemand”…

Les années ont passé, nous avons tout aimé. Lui: le henné francaoui de la villa Pereire, les youyous, la poule farcie et sa robe de mariée, les sept paires de chaussures, la boutargue (Merci Papa), la boukha, le pain italien, le bech bech (il ne sait toujours pas dire fenouil), les œufs battus, le polpetone, le foutoir absolu des fêtes de famille. Il me traite parfois de sorcière quand je rajoute un poisson sur un mur ou que je fais brûler du prour, mais c’est toujours avec amour… Moi: (dans le désordre), les kneidler, porter ce si joli nom qu’Olivier épelle comme dans les films des années cinquante (A comme Anatole, I comme Irène…), la parasha de la semaine racontée par mon beau-père chéri, les sédarim hyper sérieux (le premier j’ai pleuré en cachette), le gâteau au fromage, Claudie mon incroyable et adorée belle-mère, le foie haché et le klops (si, si). Le geffilte fisch, je n’y arriverai jamais, mais j’ai un alibi en béton: je suis la seule juive tune au monde qui n’aime pas le poisson.

Un jour, Elie et Myriam m’ont demandé: “C’est quoi la différence entre les Ashkénazes et les Séfarades”.
J’ai répondu: “On dit que les Ashkénazes sont intelligents et tristes et les Séfarades bêtes et gais”.”Alors nous, Maman, on sera intelligents et gais!”.
C’est réussi mes chéris.

Anne Karila-Cohen, dite “Princesse du ghetto”,
devenue Danziger par la grâce de la providence et, surtout, celle de sa belle-sœur chérie, Caroline.