L’accueil des juifs homosexuels dans une communauté juive dépend grandement du courant orthodoxe ou ultraorthodoxe, massorti, libéral auquel celle-ci est affiliée.
LE JUDAÏSME ORTHODOXE, majoritairement représenté par les rabbins du Consistoire, s’oppose à la légitimation de l’homosexualité mais établit une distinction entre l’acte homosexuel et la personne homosexuelle elle-même. Celle-ci est accueillie au sein de la communauté sous réserve de taire son orientation sexuelle. Ce qui est condamné n’est pas la personne mais l’acte. Les juifs homosexuels les plus proches des exigences de la Loi juive, s’abstiennent de relations sexuelles ou les vivent en cloisonnant soigneusement leur vie religieuse de leur vie sexuelle. Quoi qu’il en soit, ils sont invisibles dans les communautés orthodoxes car ils n’y révèlent pas leur homosexualité. Ces dernières années, les rabbins consistoriaux ont infléchi leur position et ont parfois réinterprété publiquement les textes du Lévitique. En mai 2011, le Grand rabbin Gilles Bernheim a signé la déclaration commune contre l’homophobie à l’occasion de l’IDAHO, la journée mondiale contre l’homophobie.
En octobre 2012, il prenait cependant publiquement position dans un essai, Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : ce que l’on oublie de dire contre le projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Son argumentaire, emprunté à celui de l’Église catholique, prônait la vision d’un modèle familial universel exclusif fondé sur la complémentarité des sexes. Selon le Grand rabbin, les revendications concernant le mariage et l’adoption auraient pour objectif l’effacement de toute différence sexuelle. La tolérance envers les homosexuels ne jouerait « que le rôle d’un cheval de Troie dans leur combat contre l’hétérosexualité ». Le lexique pour dénoncer ce qui serait de l’ordre d’un complot des militants homosexuels pour « dynamiter les fondements hétérosexuels de notre société », est guerrier : cheval de Troie, combat, destruction, négation, etc. Les homosexuels, par diverses stratégies, chercheraient à réaliser un ambitieux projet : détruire le mariage, combattre l’actuel modèle familial, nier la sexuation. L’essai et la violence de la charge contre les homosexuels, ne manquent pas d’étonner et contrastent avec ses déclarations antérieures qui lui avaient valu une réputation de rabbin moderne.
LE COURANT LIBÉRAL OU RÉFORMÉ, minoritaire en France, n’attribuant pas un caractère immuable à la loi écrite, s’autorise à adapter la pensée et la pratique juives à l’esprit du temps. La Conférence Centrale des Rabbins Américains (CCAR), qui représente ce courant au plan mondial avait indiqué dès 1990, que tous les juifs étaient religieusement égaux quelle que fût leur orientation sexuelle. L’homosexualité n’y est plus, depuis lors, considérée comme une abomination. En 2000, cette même instance a émis une résolution permettant aux rabbins libéraux de célébrer des rituels d’union pour les couples de même sexe.
En dépit de ces directives, la position du judaïsme libéral en France quant à l’homosexualité est restée très frileuse au moment des débats autour PACS. Toutefois, à l’automne 2012, l’attitude des rabbins du Mouvement juif libéral de France (MJLF) est différente. Ils affirment leur conviction que l’homosexualité ne pose pas de problème avec l’éthique juive, commentent les textes et tentent de faire œuvre de pédagogie auprès d’une communauté libérale encore divisée sur la question.
POUR LE COURANT MASSORTI, lui aussi minoritaire en France, la halakha, la Loi juive, doit être préservée mais peut s’adapter aux nécessités de l’époque, l’interprétation des textes et les modifications de la halakha étant réservées à l’assemblée des rabbins. Sa position est originale. L’homosexualité étant indépendante de la volonté de la personne, celle-ci ne peut en être tenue pour responsable. Sa situation de transgression ne doit pas la priver de la dignité de fidèle ni l’écarter des devoirs et des droits religieux (la fidélité, l’honnêteté, le respect mutuel etc.), prescrits aux couples mariés. Ce courant écarte les homosexuel(le)s des « fonctions d’exemple » notamment celle de rabbin ou d’éducateur. Cette question demeurant toutefois en suspens : elle est laissée à la libre appréciation des communautés, depuis une responsa de 2006.
En 2012, en France, lors des débats autour de l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels, les rabbins du courant massorti ont exprimé leur étonnement de « l’immixtion de la voix religieuse dans un débat civil » et rappelé que les représentants des différents cultes en France, aussi médiatisés soient- ils, ne reflétaient pas, sur ces questions, la complexité et la diversité de leurs religions respectives. En présentant pour la première fois en France toutes les opinions du judaïsme sur la question de l’homosexualité, le rabbin Yeshaya Dalsace démontrait que le judaïsme religieux ne saurait être enfermé dans un point de vue officiel, fût-il celui du Grand rabbin de France. Par attachement au principe de laïcité, il plaide pour une non-ingérence religieuse sur les modalités du mariage civil qui n’a pas d’incidence sur le fait religieux et n’oblige en rien les diverses religions.
Si certains rabbins s’étaient retranchés, avant mai 2013, derrière l’impossibilité légale de marier religieusement un couple qui ne se serait pas d’abord uni devant la République, aujourd’hui, des couples de personnes de même sexe mariés civilement pourraient solliciter les rabbins des communautés libérales et massorti pour une bénédiction de leur union, voire pour un mariage religieux. À l’heure actuelle, à ma connaissance, aucune cérémonie religieuse n’a encore été célébrée publiquement faute de candidats. Comment les rabbins de ces communautés accueilleraient-ils une telle demande si elle leur était faite ? Un rabbin interrogé sur cette question m’a répondu que, si le couple fréquentait régulièrement la communauté, une telle cérémonie serait acceptée. Un autre a souligné le nécessaire travail à mener auprès des fidèles avant de pouvoir satisfaire cette demande. Dans les deux cas, il leur semblait important d’adapter la liturgie et le rituel pour ne pas confondre cette cérémonie avec un mariage.
Depuis les débats portant sur le mariage civil des personnes de même sexe, les rabbins libéraux et massorti contestent ouvertement la prétention du Grand rabbin à représenter la seule voix du judaïsme religieux ; ils expriment plus clairement des positions ouvertes au sujet de l’homosexualité, du mariage civil des personnes de même sexe qu’ils ne confondent pas avec une union religieuse et se montrent attentifs aux vécus des personnes homosexuelles, des couples de même sexe et des familles homoparentales. Ils sont toutefois tributaires de l’évolution des mentalités dans la société et pensent devoir faire œuvre de pédagogie envers les fidèles de leurs propres communautés avant de procéder à une bénédiction de l’union d’un couple homosexuel.
Les rabbins des différents courants du judaïsme en France sont unanimes pour accueillir ces enfants sans discrimination à condition qu’ils soient juifs. L’adulte homosexuel porte en lui son identité juive; mais l’enfant élevé dans une famille homoparentale est-il ou peut-il devenir juif ?
Pour le judaïsme « consistorial », suivant en cela la pratique traditionnelle et le courant orthodoxe, un enfant est juif si sa mère de naissance est juive, y compris si elle a eu recours à une insémination artificielle avec tiers donneur (IAD). Un enfant né d’une mère non juive, qu’il s’agisse d’une adoption, d’une gestation pour autrui ou d’une IAD devra se convertir. Les parents devront montrer qu’ils offrent un cadre de vie compatible avec les valeurs du judaïsme orthodoxe. Si les parents n’en apportent pas la preuve, la conversion au judaïsme de leur enfant, ne leur sera pas accordée et il ne sera pas accueilli dans la communauté.
Les rabbins consistoriaux interrogés au début des années 2000 accueilleraient au Talmud-Torah les enfants nés de mères juives ou dûment convertis, des familles homoparentales à la condition de ne jamais mentionner le contexte familial lors des cérémonies (circoncision, bar mitsva).
Pour les libéraux, un enfant est juif si l’un de ses parents biologiques est juif et s’il reçoit une éducation juive. Un enfant né de mère non juive et d’un père juif sera juif s’il reçoit une éducation juive et ce quelle que soit la structure familiale, homo- ou hétéro-parentale.
La position du mouvement libéral français par rapport à la transmission de la judéité semble différente de celle du mouvement libéral mondial: un enfant né de mère non juive mais élevé selon les préceptes du judaïsme sera converti sans difficulté particulière, mais tout de même converti, avec passage au mikvé (bain rituel) et confirmation par l’enfant qu’il souhaite rester juif, au moment de sa bar-mitsva, alors que le mouvement libéral mondial considère comme juif sans nécessité de conversion, un enfant élevé dans le judaïsme et dont l’un des parents est juif.
Le mouvement massorti maintient l’exigence de matrilinéarité pour entrer dans la judéité. Pour ce dernier, le judaïsme est transmis culturellement et non biologiquement. Le mouvement massorti se refuse à confondre l’appartenance ethnique – la judéité – et le judaïsme – l’adhésion culturelle – en les réduisant l’une à l’autre.
Pour ce qui est de l’identité juive de l’enfant, les rabbins des différentes communautés, exceptée Pauline Bebe, exigent donc sa conversion s’il est né d’une mère non juive. Les différences résident dans les conditions auxquelles doivent se soumettre les parents pour obtenir la conversion de leur enfant. Ils doivent faire preuve de leur adhésion aux valeurs du courant auquel la communauté est affiliée : pratique orthodoxe pour le courant consistorial, transmission des valeurs du judaïsme et fréquentation de la communauté pour les courants massorti et libéral.
Tant les rabbins libéraux que les rabbins massorti accueillent les enfants des familles homoparentales dans leur Talmudé-Torah et célèbrent volontiers l’entrée dans la communauté juive ou la bar- ou la bat-mitsva de ces enfants élevés par deux papas ou deux mamans désireux de leur transmettre une éducation juive. La mention de la structure familiale particulière ne pose pas de problème à condition toutefois que la famille fréquente régulièrement la synagogue et soit connue de la communauté. Des familles homoparentales ont d’ores et déjà sollicité les communautés libérales pour des nominations ou des bar- et bat-mitsva. Selon Delphine Horvilleur, les célébrations liées à la transmission de l’identité juive dans les familles homoparentales sont un jalon vers l’acceptation des couples homosexuels dans les communautés.