“Nos conversations célestes”, de Jean-Christophe Attias

Nos conversations célestes, Jean-Christophe Attias, Alma, 2020, 18 €

LE CONSEIL LECTURE
DE NOÉMIE ISSAN-BENCHIMOL

Que se passe-t-il lorsqu’un professeur des Universités, titulaire d’une chaire de pensée juive médiévale à l’EPHE, écrit un premier roman? Un livre-monde, un livre fait d’autres livres et qui vaut tous les autres. Un livre qui commence comme une évocation du petit milieu universitaire d’un Institut quelconque, un peu comme dans Un Tout Petit Monde de David Lodge, avec la même jubilation à décrire ses travers, ses manies, ses drôleries et ses constipations, et dont l’intrigue est celle d’un roman policier: un collègue, Ben Halfman (un mi-homme, une moitié d’homme) a disparu, et le recteur charge Jacques et sa secrétaire Mauricette de le retrouver. L’enquête les mène dans les bureaux parisiens d’un rabbin tunisien qui a hérité des affaires de drogue de son père en Colombie, dans des villes de France, dans un Israël ultra-technologique où on fait des vérifications de circoncisions à l’aéroport et où l’Auteur est peut-être un agent du Shabak. On y entre comme dans une enquête de Simenon, d’autant que le disparu est, c’est le cas de le dire, un personnage! Chercheur loufoque et brillant, magnifique et vivant, Ben Halfman a passé son audition en transformant une canne en serpent (on se demande comme qui) et en racontant ses histoires, la tradition vivante face à la science qui parfois archive et enterre, sclérose au lieu de vivifier. Sauf que, petit à petit, le récit se fissure, laisse entrer le doute, puis la bizarrerie. Les cheveux de Mauricette qui sont bruns, n’étaient-ils pas blonds? Ou roux ? Et pourquoi Jacques a-t-il des souvenirs qui ne sont pas les siens, pourquoi est-il traversé par des expériences, des vies, autres que les siennes? Tout en gardant un pied dans Simenon, on met l’autre sur le sol tremblant et fragile d’un Kafka dopé à la mystique juive. Le récit, qui offre une vraie jouissance de l’écriture, de la formule parfaite, quoique se teintant d’une étrangeté un peu angoissante, reste férocement drôle et diablement touchant. 

La quête se fait intérieure et le ton plus inspiré: 
« Il n’y a pas d’Auteur, Mauricette. Et son histoire n’est rien d’autre que celle du désir. » « Nul ne priait là, le Mur était en pierre et n’était l’oreille de personne. » « Nous approchions de ces terres arides où Rien se révèle aux va-nu-pieds. Chacun s’y croit prophète quand il est modeste. Messie quand il l’est un peu moins. Dieu quand il ne l’est pas du tout. Vous leur flanquez une gifle, et ils vous déclenchent une guerre mondiale pour cent générations. Celui-là était peut-être juif. Ou chrétien. Ou musulman. Ça n’avait d’ailleurs aucune importance. C’était une question de nuance. Le sang devait couler, il coulerait. Celui du martyr avec celui de l’infidèle. On trancherait des têtes, on couperait des mains, on monterait sur la croix, on irait au massacre en chantant, on répandrait sur la terre les viscères mêlés des purs et des impurs. » 

On comprend finalement avoir été mené en bateau, initié plus exactement, par l’Auteur qui n’existe pas, et qui nous a offert avec ce livre une plongée plus honnête encore qu’une autobiographie dans les récits, contradictions, et mémoires qui le composent. 

Un roman puissant, dérangeant, fascinant. À lire.

Nos amis de Jewpop vous proposent de lire en intégralité un grand entretien entre Noémie Issan-Benchimol et Jean-Christophe Attias autour de ce roman.