OY VEY

L’édito ashkénaze du rabbin Delphine Horvilleur

Je m’étais promis de ne jamais faire le test. Tout autour de moi, de nombreuses personnes avaient succombé à la tentation et s’étaient procuré le fameux kit qui permet de tout connaître ou presque de votre héritage génétique. Un échantillon de salive, quelques semaines de patience et le tour est joué, votre ADN est décrypté et votre origine géographique révélée. Mes ami(e)s, les uns après les autres, me racontaient leurs origines inattendues, et cela me faisait rêver, ou en tout cas, me donnait envie de voyager. Ici et là, ils se découvraient à 2 % d’origine sénégalaise, à 0,5 % descendants de tribus cherokees ou à 3 % esquimaux. Et c’est là que j’ai craqué. Moi aussi, je voulais vivre un exotisme génétique.

Sans en parler à qui que ce soit, je me suis procuré le coffret “prohibé” et j’ai consciencieusement frotté les parois de ma bouche, cacheté l’enveloppe et posté le tout. J’ai attendu quelques semaines et un beau jour, un email m’a annoncé que je pouvais enfin connaître toute la vérité. J’allais savoir quel pourcentage de mon génome venait de contrées lointaines, qui mes ancêtres avaient pu croiser et quelles traces mon ADN en avait gardé. J’ai cliqué sur le lien internet qui lui-même me renvoyait vers un autre lien, puis un autre et chaque page consultée affichait des messages d’excitation croissante : “Plus que quelques minutes et vous saurez…”, “Encore quelques secondes, et vous serez fixés”. J’ai entendu en rêvant à des tresses cheyennes et des coiffes antillaises. Et c’est là que le couperet est tombé. Le résultat ne comportait qu’une seule ligne sur laquelle étaient inscrits un nombre et un mot : “100 % ashkénaze”.

J’ai crié “Oy Vey !” comme si tout le poids du shtetl s’écrasait sur mes épaules, aussi lourd qu’un tcholent et aussi difficile à digérer. Et puis, l’instant d’après, j’ai haussé les épaules et souri à l’évidence de ce qui s’imposait. Notre ADN raconte peut-être nos voyages génétiques mais ne dit rien de nos histoires et des influences qui nous construisent. Nos rencontres, nos voyages, nos lectures, nos amitiés… disent toujours plus que nos salives.

Je suis totalement ashkénaze et un pur mélange de plein d’autres choses, me suis-je dit, en appelant notre rédacteur-en-chef, Antoine Strobel-Dahan, et en lui disant : “Dis-moi, j’ai une idée de thème pour le prochain numéro de Tenou’a”.