Et la halakha dans tout ça ?

Réflexions personnelles d’un talmudiste :
« Le point de vue des religions en général et du judaïsme en particulier au sujet de l’homosexualité est connu, il ne m’appartient pas ici d’en discuter les positions mais de dégager une réflexion objective, à partir des sources juives, permettant de porter sur le sujet un regard beaucoup moins rigide qu’il n’y paraît. »

Une fois posé que le judaïsme n’a pas une haute opinion de l’homosexualité, il est intéressant de remonter aux sources juives pour comprendre autour de quels axes se développe les réflexions juives sur l’homosexualité.

INTERDITS BIBLIQUES RELATIFS À L’HOMOSEXUALITÉ. Si, d’une manière générale, tous les interdits sexuels sont qualifiés d’abominations, du fait que la Torah le répète spécifiquement concernant l’homosexualité (Lévitique 18:22), on comprend qu’elle lui prête une abomination particulière. Interdit qui, à l’époque où les condamnations à mort étaient appliquées, entraînait la peine capitale (id. 20:13).

L’HOMOSEXUEL N’EST PAS DÉFINI DANS LA BIBLE. Alors que, dans la Grèce Antique, l’homosexualité peut se rapprocher de la conception moderne, la Bible ne reconnaît pas de tendances sexuelles autres que celle de l’hétérosexualité. Dans Le Banquet de Platon, par exemple, l’auteur fait parler Aristophane, qui décrit très bien diverses catégories de sexualités, d’une manière très similaire à ce que nous connaissons. Tandis qu’une lecture rigoureuse du texte de la Torah montre que, si toute relation homosexuelle masculine est interdite, l’homosexuel n’est pour autant pas défini. Selon elle, tous les hommes et les femmes sont censés être hétérosexuels. Toute relation homosexuelle est ainsi perçue par la Torah comme une extrême « perversion » de la sexualité.

LA NORME SEXUELLE SELON LA TORAH. Même si, pour la Torah, la « norme » sexuelle est celle qui permet la procréation, la Torah reconnaît que toute sexualité procède du désir, nécessaire à l’équilibre humain sans lequel le monde ne pourrait exister.
Ainsi, il n’y a rien de mal à désirer l’interdit. La dérive ou la perversion résident dans l’incapacité à se maîtriser.

DÉSIR ET TENTATION DE L’HOMO SEXUALITÉ. À partir de cette donnée, l’une des plus grandes autorités rabbiniques de son temps, le rabbin Moshé Feinstein (1895-1986), va expliquer pourquoi l’homosexualité relève d’une abomination plus grave que les autres interdits sexuels de la Torah.
Pour la plupart des personnes, nous dit-il, il n’y a pas d’attirance naturelle à l’homosexualité, au contraire même, la majorité y répugne, y compris pour celui qui vit une sexualité « débridée ». Le fait d’être homosexuel ne peut donc pas se comprendre, y compris d’un point de vue de la tentation du mal. Si la plupart des gens n’éprouve aucune attirance pour l’homosexualité, cela montre que celui qui se laisse aller à ce genre de pratiques le fait non pas pour satisfaire son propre désir mais pour manifester un rejet de Dieu et de la Torah (Igrot Moshé, Ora’h Haïm 4, 115).

TENTATION DE L’INCESTE. L’auteur des Igrot Moshé va appuyer son argument sur un passage du Talmud (Yoma 69, b), au sujet de la tentation de la luxure. Ce texte distingue clairement le désir sexuel de l’inceste, et affirme qu’il ne peut y avoir, même dans un cadre légal, de sexualité sans tentation de l’interdit. S’il n’y avait pas de plaisir dans l’acte sexuel, nous dit le midrash, l’homme n’aurait aucune envie de faire des enfants (cf. Kohélet Rabba 3, 11). Par conséquent, le désir sexuel, qu’il soit dans un cadre légal ou interdit, procède de la même nature.
Pour ce qui est en revanche de l’inceste, la plupart des gens n’en éprouvent aucun désir, c’est pourquoi, pour le Talmud, une telle pratique ne peut être que motivée par un rejet de Dieu et de la loi de la Torah. À l’instar de Amon qui, lorsque sa mère, avec qui il entretenait des relations sexuelles, lui demanda : « Comment peux-tu éprouver du plaisir de pénétrer par là où tu es sorti ? », lui dit : « Je n’éprouve aucun plaisir, je ne le fais que pour provoquer la colère de mon Créateur » (Sanhédrin 103, b).

Sans rentrer dans les questions morales spécifiques à l’inceste, et sans se laisser aller à des comparaisons hasardeuses, ce que cherche à démontrer l’auteur des Igrot Moshé, c’est que, sur le registre de la tentation, l’analogie reste, en revanche, pertinente. De même, en effet, que la tentation de l’homosexualité n’est pas l’apanage de tous, ainsi en est-il de l’inceste, la plupart des gens n’éprouvent pas a priori d’attirance physique pour un proche parent du premier degré. C’est pour cette raison, toujours selon le rabbin Feinstein, que l’interdit de la Torah de l’homosexualité est plus grave que les autres, du fait justement qu’il ne dépend ni du désir, ni d’une tentation physique, mais relève d’un comportement qui, en réalité, suscite répugnance, y compris pour qui le pratique.

S’IL N’Y AVAIT PAS DE PLAISIR DANS L’ACTE SEXUEL, NOUS DIT LE MIDRASH, L’HOMME N’AURAIT AUCUNE ENVIE DE FAIRE DES ENFANTS.

LE DÉSIR CHEZ L’HOMOSEXUEL. Cependant, ce texte du Talmud, qui distingue l’inceste du désir de sexualité classique, ne peut que se situer selon une norme convenue qui affirmerait que la plupart des gens n’éprouvent pas d’attirance physique pour un membre au premier degré de leur propre famille. Par conséquent, l’analogie avec la pratique homosexuelle ne concerne que celui qui n’est pas homosexuel. Ainsi, prétendre, avec l’auteur des Igrot Moshé, qu’il n’existe pas de tentation de l’homosexualité ne vaut que si l’on se place du point de vue de l’hétérosexuel, chez qui le désir homosexuel est inexistant, du moins pour la plupart. Si l’on se place, en revanche, du côté de l’homosexuel, nous ne pouvons nier qu’il existe chez lui une réelle attirance pour un membre du même sexe.

Quoi qu’il en soit, il est admis aujourd’hui que l’homosexualité procède d’une tendance, plutôt naturelle, souvent indépendante du choix de la personne. L’orientation sexuelle n’indique rien sur la perversion de l’individu, il se peut qu’un homosexuel soit de nature plus prude qu’un hétérosexuel. Comme l’affirme Le Banquet de Platon, là encore, à propos de ces hommes qui se plaisent à coucher avec les hommes : « C’est bien à tort qu’on leur reproche de manquer de pudeur : car ce n’est pas faute de pudeur qu’ils se conduisent ainsi. »
Le bisexuel non plus ne renvoie pas à la description biblique, une fois qu’on a dit que l’orientation sexuelle n’a aucune influence sur le registre de la perversion, il n’y a pas lieu de mettre en relation les genres de sexualités spécifiques aux individus avec la notion de perversion.
Personne ne discute le fait qu’il puisse exister une perversion extrême qui pousse la
personne à des actes des plus condamnables, mais prétendre que l’orientation sexuelle
joue quelque chose dans la nature même de la perversion d’un individu ne repose sur
aucun fondement crédible.

Il n’est pas dans mon propos de vouloir « justifier » les pratiques homosexuelles d’un point de vue de la Torah et de la halakha. Je crois que, sur ce terrain, il est préférable de laisser chacun à sa liberté de conscience. Ce qui m’importe, en revanche, c’est de sortir d’un jugement manichéen qui plaque sa perception des homosexuels sur la Bible, sans tenir compte du fait que ce qu’elle dit sur ce sujet est loin d’être en phase avec la réalité que nous connaissons de l’homosexualité.

  • Elaine Chapnik

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