Une femme avec une femme

La façon dont les sources antiques et médiévales qui fondent la Loi juive considèrent le lesbianisme est riche d’enseignements en ce qu’elle reste pertinente dans le monde moderne.

Elle revêt de l’importance pour ces femmes, à la fois juives orthodoxes et lesbiennes, qui veulent, plutôt que de rejeter toute leur tradition, comprendre et interpréter le corpus législatif juif comme les autorisant à demeurer fidèles à ce qu’elles sont et à leur lecture de la Torah.

LES PRATIQUES DU PAYS D’ÉGYPTE, OÙ VOUS AVEZ DEMEURÉ, NE LES IMITEZ PAS, LES PRATIQUES DU PAYS DE CANAAN OÙ JE VOUS CONDUIS, NE LES IMITEZ PAS ET NE VOUS CONFORMEZ POINT À LEURS LOIS.
Lévitique 18:3

Si la Torah ne fait pas explicitement référence à quelque conduite lesbienne que ce soit, pour la tradition légale juive, « les pratiques du pays d’Égypte », en Lévitique 18:3 feraient bien implicitement référence au lesbianisme et au mariage entre personnes de même sexe.

Le Midrash Sifra (Torat Kohanim, Aharei Mot 8,8) explique le Lévitique comme prohibant le mariage entre personnes du même sexe. Il n’existe pas de preuve historique de l’existence de mariages homosexuels dans l’Égypte antique mais cette pratique existait en Palestine romaine aux IIIe et IVe siècles, lorsque les Sages compilèrent le Sifra. Le Sifra n’interdit pas les activités sexuelles pratiquées en privé, mais uniquement la transgression publique des normes halakhiques. Il pourrait s’agir d’une réaction à l’absence d’interdit explicite du lesbianisme dans la Torah.

INDÉCENT MAIS PAS INTERDIT

Deux siècles plus tard, le Talmud (Yevamot) dit : « Pratiquer le mesolelut (acte de frotter les unes contre les autres ses parties génitales) avec une autre femme (nashim hamesolelot zo bezo) ne fait pas d’une femme une zonah* et cette pratique ne la rend pas inéligible au mariage avec un cohen (prêtre). Une telle activité est “indécente” mais pas interdite. »

Le Talmud considère donc que le mesolelut va à l’encontre des normes sociales mais ne viole pas la Torah ni aucune des lois dérivées indirectement de la Torah par les Sages.

Au XIIe siècle, dans le Mishné Torah (Sefer Kiddushah, « Hilkhot Issurei Beah » 21,8), Maïmonide, rabbin et exégète respecté dont le code de Loi juive était connu dans tout le monde juif médiéval, interdit nashim hamesolelot zo bezo en s’appuyant sur le Lévitique et son interprétation par le midrash. Il établit un socle biblique pour interdire le lesbianisme et prévoit des sanctions pour qui transgresse cet interdit. Il est le premier décisionnaire à :
– établir que nashim hamesolelot appartient aux pratiques égyptiennes et cananéennes interdites – ni le Midrash Sifra ni le Talmud ne l’avaient considéré ainsi,
– imposer un châtiment pour cela,
– proscrire toute interaction entre les femmes mariées et les femmes connues pour le pratiquer.

Au moins jusqu’à Maïmonide, il semble que les femmes ouvertement connues pour pratiquer des rapports sexuels entre elles étaient relativement bien tolérées par les communautés juives d’Afrique du Nord. Maïmonide les appelle « les femmes connues pour pratiquer ces actes ». Néanmoins, s’il prescrit aux époux de tenir leurs épouses loin de ces femmes, il n’ordonne pas qu’elles soient expulsées de la communauté.

Les règles qu’il a fixées furent adoptées par le Shoulhane Aroukh, le code de Loi juive le plus largement admis dans le monde juif depuis sa compilation au XVIe siècle. Dans le traité Even HaEzer 20,20, il définit les lois juives concernant le lesbianisme ainsi :
– Le mariage entre personnes du même sexe est interdit mais il n’est prévu aucune sanction pour ceux qui le pratiqueraient.
Nashim hamesolelot est une pratique interdite. Le fouet peut être une sanction appropriée mais non obligatoire prononcée par un tribunal rabbinique. Les hommes ne doivent pas battre leurs épouses si elles le pratiquent dans la mesure où il revient au tribunal d’administrer la sanction.
– Pour les femmes mariées, il est interdit d’avoir des rapports sexuels de quelque sorte que ce soit avec d’autres femmes.
– Les femmes mariées ne doivent pas fréquenter des femmes connues pour pratiquer le mesolelut.
– Rien ne stipule qu’un homme doive divorcer de son épouse récalcitrante à ce sujet.
– Rien ne stipule que les « femmes connues pour pratiquer ces actes » doivent être publiquement humiliées et/ou exclues de la communauté juive.

*Une zonah est une femme qui a connu certains rapports sexuels interdits.

Cet article utilise le travail de recherches effectué par son auteure, Elaine Chapnik, pour la rédaction d’un chapitre consacré aux textes législatifs juifs concernant l’homosexualité féminine dans l’ouvrage collectif Keep Your Wives Away From Them, Orthodox Women, Unorthodox Desires, dirigé par Miryam Kabakov et publié en 2010 par North Atlantic Books.