En 2014, le Leo Baeck College, un collège rabbinique libéral qui se trouve à Londres, a célébré le 25e anniversaire de l’ordination des deux premières femmes rabbins lesbiennes : le Rabbin Elizabeth Tikva Sara, et le Rabbin Sheila Shulmanז״ל .J’ai eu l’honneur d’étudier dans ce collège, héritier de la Hochschule für die Wissenschaft des Judentums, la Haute École pour l’Étude de la Science du Judaïsme, établie par le Rabbin Abraham Geiger en 1872, et fermée par les nazis en 1942. À l’occasion de cet anniversaire, il a été souligné que, depuis 1989, vingt rabbins gays et lesbiennes ont été ordonnés. Je suis pour ma part le vingtième dans cette lignée. Le Rabbin Sheila Shulman a été mon amie, ma tutrice, et m’a accompagné durant mes études. Elle m’a aussi transmis l’ordination rabbinique, la semikhah, mais nous a malheureusement quittés en octobre dernier.
Je suis bien conscient que lorsqu’on représente une situation nouvelle, en l’occurrence, celle d’être le premier rabbin ouvertement gay en France, il est nécessaire d’être prudent pour ne pas provoquer de réaction trop violente au changement que cela implique, au sein de nos communautés, mais aussi envers la société plus large. Il est aussi essentiel d’être clair sur qui on est, d’où on vient, et ce que l’on se propose de faire. Je n’ai jamais été militant radical par nature, mais je suis conscient que cette nouvelle donne dans notre pays entraînera de nécessaires prises de position.
J’ai choisi pour ma part de faire entendre ma voix, de façon très modeste, à l’occasion des débats houleux sur le « mariage pour tous » en 2012. Certes, je m’attendais à des oppositions importantes à cette loi, mais la violence de certains propos m’a surpris. Je ne m’attendais pas à ce que les gays et les lesbiennes soient comparés à des animaux, ni à des pédophiles, car dans mon esprit, ces arguments étaient indignes dans le débat public. J’ai aussi été surpris par cette alliance des conservatismes, politiques, religieux de tous les bords, ceux-là mêmes qui en règle générale ont du mal à cohabiter. J’ai aussi été peiné par la quasi-absence de voix progressistes dans le monde religieux, un peu comme si la voix des traditionalistes avait submergé tout bon sens.
J’ai alors décidé, en septembre 2012, de répondre à la plus haute autorité religieuse catholique de la ville où j’exerçais par une lettre ouverte écrite en mon nom propre dans la presse locale, mais sans coordination avec ma communauté, car je n’étais pas encore rabbin ordonné. Cette initiative privée a provoqué une certaine émotion au sein de ma communauté, en partie parce que j’avais décidé tout seul de cette lettre et de sa teneur. J’ai alors compris qu’il y avait derrière la simple question LGBT des problématiques plus profondes, qui vont bien au-delà de la simple théologie.
À mon sens, le problème n’est pas théologique, mais humain, si tant est que l’on puisse séparer les deux. Il y a tant de lois dans la Torah écrite qui ne sont pas applicables à cause de circonstances historiques et sociales, que la lecture de ces deux versets du livre du Lévitique (18:22 et 20:13), interprétés comme une interdiction de l’homosexualité masculine, répond à une logique autre qu’un interdit biblique. Une société masculine qui se sent menacée ? La peur de ce qui est différent ? La jubilation d’avoir trouvé un ennemi commun ?
Le défi à relever est passionnant. Il s’agit de démontrer que le fait homosexuel traverse l’histoire humaine, qu’il ne remet en rien en cause les fondements de la société, que personne ne sera « converti » à l’homosexualité si l’on en parle, que l’amour entre personnes du même sexe peut être aussi fort et pur qu’entre personnes de sexes opposés.
Il n’y a pas de gay power, ni de Protocoles des Sages d’Uranus pour dominer le monde. Il y a juste une minorité qui a toujours existé, qui est devenue visible ; elle aspire simplement aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que les autres.
Pour moi, être rabbin gay signifie témoigner que l’on peut mener une vie privée et publique avec les mêmes joies et les mêmes difficultés que tous les êtres humains. L’orientation sexuelle n’est qu’une partie de la définition de l’individu, et le, ou la réduire à cela, est une insulte à l’étincelle divine qui est présente en chacun de nous. Comme le disait le poète, ce ne sont pas les mots d’amour qui comptent, mais les gestes d’amour. L’être humain est jugé sur ce qu’il ou elle fait, non pas sur ce qu’il ou elle est. Si mon rabbinat pouvait permettre aux gays, lesbiennes, et transgenres de se sentir accueillis au sein de la communauté juive, j’aurais le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Et si mon rabbinat permettait au reste de la communauté de changer de regard sur cette minorité, je serais alors comblé.