Contenu réservé aux abonnés

IL N’Y A PAS DE JUIF SANS ACCENT

On ne se convertit jamais seulement au judaïsme. On se convertit à un rite, à une culture, à une mémoire, à un imaginaire, explique Jean-Christophe Attias

Un Juif sans accent, ça n’existe pas. Mon père, lui, n’en avait pas. C’est du moins ce que j’ai longtemps cru.
J’avais peut-être l’oreille trop habituée. À moins qu’il ne l’eût vraiment perdu, cet accent. Arrivé à vingt ans en métropole au lendemain de la Guerre, coupé de ses racines algéromarocaines, en délicatesse avec une famille qui ne lui avait pas pardonné sa mésalliance, peut-être avait-il fini par s’imaginer lui-même qu’il parlait le français comme la catholique de bonne souche qu’il avait épousée. Dans ses dernières années, il me sembla que les choses changeaient. Comme si son retour au judaïsme s’était accompagné d’un discret retour d’accent. Il me semblait entendre parfois dans sa bouche certaines intonations nouvelles. Nouvelles pour moi, en tout cas. J’avais peut-être seulement l’ouïe plus fine qu’autrefois.

Pour moi, les choses avaient longtemps été plus simples, en apparence du moins. J’étais un petit Français de France, un petit Blanc entre les Blancs, j’étais né à Bayeux, j’avais grandi dans le Pas-de-Calais, dans la Marne, en Charente, je n’étais de nulle part, je n’avais pas d’accent du tout, j’étais un enfant neutre, ce qui me rendait exotique, mais sans vraiment me satisfaire. Je me trouvais la peau trop pâle et le cheveu trop raide.

Abonnez-vous pour lire cet article

S’abonner en ligne